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mardi, 26 novembre 2013

Spécial Céline

Le trimestriel Spécial Céline fait paraître son 11è numéro. Un nouveau format et une nouvelle maquette, des plus agréable, viennent agrémenter la lecture d’un sommaire plus « épuré » qu’à l’accoutumé. On regrettera toutefois pour ce numéro l’absence de toute actualité célinienne…

Sommaire :

Étude
« Céline au bachot » par Éric Mazet
Correspondance
« Les Lettres à la NRF, 1931-1961 : le médecin épistolier et son éditeur » par Julie Delbouille
Rencontre
« Céline et le Goncourt : Chronologie des faits et des idées » par Éric Mazet
Étude
« De Destouches à Céline, Montmartre 1929-1944 » par Jean Maurice Bizière
Fiction
« Fallait-il fusiller Céline » (1ère partie) par Jacques Milliez



Un numéro disponible en kiosque ou sur www.lafontpresse.fr, 80 pages, 19,50 €.

Premier numéro des "Etudes rebatiennes"

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Sortie du 1er numéro des

"Etudes Rebatiennes":

 

Très attendu, le premier cahier des « Etudes » consacré à l'auteur des Deux Etendards est enfin disponible. Ses 216 pages élégamment reliées, contiennent un mélange de textes inédits de l'auteur et des analyses de son œuvre et de son écriture. Du côté des inédits, les amateurs pourront découvrir la préface de « Margot l'enragée », le dernier roman inachevé du Rebatet, ainsi que des extraits de son journal et une lettre extraordinaire imaginant les personnages des « Deux Etendards » vingt ans après... Ensuite, trois études universitaires sont proposées. La première, de Louis Baladier, s'intitule « Les Deux Etendards ou un trop grand rêve », la seconde, de Nicolas Degroote, se penche sur la « conversion » dans « les Deux Etendards, et enfin Pascal Ifri offre un parallèle entre « L'Etude sur la composition des Deux Etendards » et le « Journal des faux-monnayeurs » de Gide.

Un premier numéro qui représente un apport considérable à l'étude trop négligée d'un auteur majeur mais maudit.

 « Etudes Rebatiennes I », 216 pages, 20 euros (+ 3 euros de frais de port), chèques à l'ordre des « Etudes Rebatiennes », 10 rue Stanislas, 75006 Paris

Site cliquez ici

 

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jeudi, 21 novembre 2013

NOUS AUSSI NOUS SOMMES AMÉRICAINS : NOUS AVIONS GÉRARD DE VILLIERS

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NOUS AUSSI NOUS SOMMES AMÉRICAINS : NOUS AVIONS GÉRARD DE VILLIERS

Ex: http://dernieregerbe.hautetfort.com

                Mourir détesté est aujourd'hui un luxe rare. Gérard de Villiers ne l'aura pas eu : alors qu’il y a vingt ans sa mort n’aurait sans doute suscité que quelques échos secs et grinçants, voilà qu’un concert d’éloges se déclenche : les médias saluent respectueusement la disparition de « l'homme le mieux renseigné de la planète ». C’est bien à tort qu’on a méprisé ses livres pendant si longtemps : « Il faisait un boulot incroyable », se souvient Dorothée Olliéric, grand-reporteur à France 2. Libération va plus loin, n’hésitant pas à placer le défunt dans la galerie mythique des géants du reportage : « il travaillait comme les grands reporteurs d’avant guerre, du type Albert Londres, qui allaient sur place et revenaient avec de vraies et longues enquêtes ». C’est pourquoi ses descriptions très précises faisaient de ses livres de véritables guides touristiques et politiques. D’ailleurs Hubert Védrine, l’un de ses inconditionnels, ne se rend jamais dans un pays sans lire préalablement le S.A.S. correspondant. Tout le monde lisait Gérard de Villiers, même (surtout) ceux qui le faisaient en cachette. Très introduit dans le monde du renseignement, ayant des informateurs exclusifs partout dans le monde, celui qu’on prenait depuis toujours pour un vulgaire propagandiste de la C.I.A. était en fait un géopoliticien de haut vol, dont les livres, incomparables manuels stratégiques, remplacent avantageusement les traités les mieux documentés. On se demande pourquoi on ne lui a pas demandé d’aller faire des cours à l’École de guerre ! N’a-t-il pas prophétisé l’assassinat de Sadate (dans Le Complot du Caire), l’attentat contre les États-Unis en Libye (dans Les Fous de Benghazi), la tentative de coup d’État contre Bachar el-Assad (dans Le Chemin de Damas), et tant d’autres évènements encore ? n’a-t-il pas expliqué mieux que tout le monde l’attentat contre Rafic Hariri ou l’attentat contre le Boeing de la Panam à Lockerby ? Mais ce prodigieux analyste du monde contemporain était aussi un remarquable entrepreneur qui s’est imposé dans le dur milieu de l’édition, et bien sûr un auteur de talent : un « authentique professionnel » de la prose haletante, un travailleur acharné « qui n’a jamais connu la retraite », un « très bon romancier populaire », un auteur de récits « bien foutus », « dont le génie consistait à coller au plus près à la réalité » et qui avait la suprême élégance de ne pas poser à l’écrivain prétentieux : oui,  « cet homme s'assumait »,  il n’avait honte ni de ses livres ni de ses idées, et cela le rend infiniment estimable. Du reste, cet ami intime de Claude Lanzmann était évidemment bardé des qualités humaines les plus appréciables : un « homme au courage physique à la limite de l'inconscience » (selon son ami le général Rondot), cultivé, généreux, fidèle, bon vivant, provocateur, pudique… Cet esthète aura réussi, excusez du peu, la miraculeuse et « si difficile martingale de tout écrivain : mettre de la vie dans son art et de l’art dans sa vie » (Nicolas Gauthier dans Boulevard Voltaire). En somme, lui qui a été couvert de boue pendant quarante ans, le voilà consacré, même à gauche, « trésor national à sa façon » selon la formule de Jean Guisnel dans Le Point .


                991695-gf.jpgOn se frotte les yeux. Quoi ? Est-ce bien de Gérard de Villiers, l’auteur des S.A.S./S.S., que l’on parle ? Trésor national, incarnation du génie français, ce faiseur, ce parvenu, cette incarnation du mauvais goût, cet industriel du roman de gare, qui était méprisé jusque par ceux qui se piquent de littérature populaire, et placé cent lieues en-dessous de San-Antonio à la merveilleuse créativité verbale ?!! Même Paul-Loup Sulitzer, par contraste, était crédité d’avoir inventé un nouveau genre, alors que Villiers ne faisait que du sous-Ian Fleming à la chaîne, mâtiné de pornographie. La forme : un défilé de clichés, aucune invention, des personnages stéréotypés, des intrigues répétitives, une vulgarité constante, des scènes de sexe toujours identiques (et obsessionnellement portées sur la sodomie). Le fond : goût compulsif pour la violence gratuite, complaisance pour la torture, beaufitude, racisme, antisémitisme, misogynie, poncifs les plus stupides sur l’indolence des Arabes, l’incapacité des nègres, la cruauté des jaunes, la lascivité et la servilité des femmes, etc. En 2005 encore, Thierry Ardisson ne l’invitait à Tout le monde en parle que pour l’enfoncer dans le marécage de ses idées nauséabondes, mission moralisatrice où l’accompagnait le débonnaire Jean-Pierre Foucault. Mais voilà qu’en 2013, pfuiiit, tout cela a disparu ! Place à l’hommage et l’admiration. Nous avions un génie et nous l’avons conspué. Que s’est-il passé ?

                Le tournant a eu lieu en janvier de cette année : le New York Times a publié un long article de Robert F. Worth à la gloire de l’écrivant français. Ce panégyrique (d’où sont tirés les trois quarts des articles  d’hommage qui viennent de paraître) a été intégralement traduit dans Courrier International le mois suivant, et il a suffi à retourner la classe médiatique. Intervious et portraits se sont succédé au fil de cette année, jusque dans Le Monde. Ce n’est pas que les yeux de nos faiseurs d’opinion se soient décillés, c’est plutôt que leur jobardise s’est une nouvelle fois révélée : quand l’Amérique donne le ton, il faut se mettre au diapason. Gérard de Villiers est célébré par le New York Times ? Alors on peut en faire autant ! Que dis-je : il faut en faire autant, sinon nous passerons encore pour de petits franchouillards englués dans leur ringardise congénitale, incapables de sentir ce qui est « in ».
                Ce renversement de l’opinion dominante sur S.A.S. est donc moins un indice de droitisation de la société qu’un indice d'américanisation. Violence, crudité, démagogie, populisme, et par-dessus tout culte de l’efficacité et de la rentabilité : nous aussi nous sommes des Américains, nous aussi nous savons fabriquer et vendre des produits américains, nous aussi nous adorons ça, nous aussi nous nous assumons comme tels. Il fut un temps, pas si lointain, où la classe politique et médiatique avait un certain sens de la littérature et ne prisait, fût-ce par affectation, que des auteurs d'un certain niveau. Quand elle parlait d'un écrivain nommé « Villiers », ce ne pouvait donc être qu'Auguste de Villiers de L'Isle-Adam, styliste racé et pourfendeur cruel de la médiocrité bourgeoise. Aujourd'hui on n'a plus honte de remplir sa bouche et ses yeux de merdes populaires, et parmi tous ceux qui proclament le plaisir qu'ils ont eu à lire des S.A.S., bien peu ont sans doute ouvert Axël ou les Histoires insolites, sans parler du Prétendant ou de Tribulat Bonhomet. La plupart, je le parierais, ignorent jusqu’à l’existence de ces titres. La nouvelle classe dirigeante a baigné dans la sous-culture télévisuelle depuis sa jeunesse, et elle n’en a aucune honte. En termes d’image, il est de moins en moins payant de s’afficher comme un lettré devant le populo, alors pourquoi affecter une préférence pour ces intellos abscons et chichiteux qui nous prennent la tête, tandis qu’on prend son pied avec un bon vieux S.A.S. ? Reconnaître qu’on aime bien lire Gérard de Villiers, c’est à la fois jouer la carte de la transparence, en s’avouant franchement tel qu’on est, et se poser en monsieur-tout-le-monde, apte à comprendre les malheurs et les espoirs du peuple, puisqu’on en partage les goûts et les plaisirs : double bénéfice.

 

                55749501_10912867.jpgJ’ai parcouru, dans la réacosphère facebookienne, quelques réactions à la mort de Gérard de Villiers, et j’ai été frappé par la fréquence des marques d’estime posthume. Untel, par exemple, se réjouit que la gauchiasse se sente désormais obligée de céder du terrain et de ménager ce sur quoi elle crache sans vergogne depuis 1945, alors que naguère encore elle conchiait tous ceux qui de près ou de loin ressemblaient à un réactionnaire : attitude purement réactive, qui consiste à choisir ses amis non pas pour leurs qualités propres, mais uniquement pour le fait qu’ils sont rejetés par nos ennemis, – comme si ceux-ci ne pouvaient pas se tromper. Le plus stupéfiant, c’est cette ancienne catin reconvertie dans l'islamophobie hystérique, qui profite de l’occasion pour battre ses propres records de bêtise et de bassesse, pourtant haut placés : « J'estime que tout écrivain doit être jaloux de celui qui a gagné autant d'argent avec sa plume ». Triomphe du veau d'or, prosternation devant le dieu Dollar ! Le gain pécuniaire n'est pas seulement le critère absolu de réussite sociale, il devient aussi le critère de la valeur littéraire et le but de tout écrivain qui se respecte. D’ailleurs, qu’est-ce que la littérature, sinon un moyen de distraire les masses ? « Villiers ne cherchait pas à rivaliser avec Hugo..., mais s'il était populaire, c'est qu'il devait bien écrire. À quoi sert la littérature [réservée à] quelques initiés ? À rien ! ». Remarquable conjonction entre le primat du fric et le primat de la plèbe. L’américanisation est complète : tout objet culturel a pour finalité d’être vendu au plus grand nombre, et le gain obtenu permet donc de hiérarchiser des œuvres d’art qui ne sont rien que des objets de consommation. Je soupçonne que si nous essayions d’expliquer à cette idiote, qui se croit de droite, que dire de la littérature qu’elle ne sert à rien, c’est lui adresser le plus bel éloge possible – puisque tout ce qui est utile est laid –, elle nous prendrait pour des fous, ô Théophile Gautier ! Cette droite-là n’est pas la mienne. J’estime pour ma part qu’il faut avoir l'esprit complètement perverti par le sectarisme le plus borné, pour se sentir solidaire, au nom d’un anti-gauchisme fanatique et aveugle, de ce brasseur de pognon, de cet avilisseur du livre, de ce corrupteur de l'esprit public qu’était Gérard de Villiers.

          

devilliersgerardsas059c.jpgCelui-ci, finalement, peut au moins servir d’excellent marqueur idéologique, propre à distinguer deux droites, la droite du fric et de l’Amérique moderniste, la droite de la culture réactionnaire et de l’élite. Villiers n'a fait que de l'ordure tout au long de sa vie. Journaliste pipol dans les années 60, il a donné dans toutes les bassesses de la presse de caniveau : il est même à l’origine de la rumeur qui prétendait que Sheila était un homme, dégueulasserie dont il rigolait encore quarante ans plus tard. Il n’aura jamais quitté ce milieu ignoble, puisque jusqu’à la fin de sa vie il fréquentait assidument la « jet-set », qu’il recevait dans sa villa de Saint-Tropez et sur son yacht. On peut aussi penser, avec Cizia Zykë, que Gérard de Villiers a tué une certaine littérature populaire française en y important des méthodes…  américaines, bien sûr [1]. Comme les MacDo standardisés ont tué les petits caboulots du coin de la rue. Même extermination de la diversité populaire française, brouillonne mais vivante, au profit d’un modèle mécanique et artificiel, froidement et « professionnellement » conçu pour dégager le maximum de bénéfices à court terme. Il est d’ailleurs étrange (ou au contraire très cohérent) que ces articles d’hommage ne soulèvent jamais la question des nègres d’écriture. Même si la version officielle est relayée par Robert F. Worth, on aura tout de même du mal à croire qu’un seul homme ait pu rédiger 200 romans en 49 ans, surtout avec les minutieux voyages, entretiens et investigations sur lesquels on nous dit qu’il s’appuyait. Depuis 2006 (à 76 ans), il avait augmenté sa cadence, passant de quatre à cinq volumes annuels (mais en restant à quatre titres, dont un double en juin). Dans ses dernières années, il était très affaibli par le cancer et les suites d’un A.V.C. : pourtant, miracle de la littérature, sa production ne s’est pas ralentie, et il a continué à abattre ses cinq volumes annuels comme si de rien n’était. Un vrai Superman, n’est-ce pas ! Mais surtout pas un Astérix car, adoptant un point de vue américano-mondialisé, il va sans dire qu’il méprisait la France et ne lui accordait aucune place dans ses livres : « Comme Anglais, il y avait Bond. Un Français, personne ne l'aurait pris au sérieux. À part le fromage et le vin, rien de chez nous n'est crédible à l'étranger », confiait-il à Ariane Chemin cet été. Bien entendu, ce libéral de choc tenait le gaullisme pour une « névrose typiquement française », comme il le déclarait dans une autre interviou : pensez donc, être contre les É.-U.A. et contre le libéralisme cosmopolite, c’est là une hérésie, voire une maladie qu’il convient de dissoudre au plus vite dans le Coca-cola, l’exotisme à deux balles et la pornographie ! Voilà donc l’homme qui paraît estimable et attachant à une certaine droite-Neuilly, qui jauge la réussite d’un gouvernement au montant de sa feuille d’impôts. Chaque parti a les héros qui lui ressemblent, et chaque époque les réactionnaires qu’elle mérite.
                

Allez, encore vingt ans de prostitution généralisée à Washington, et Gérard de Villiers sera bon pour le Panthéon.
 

Note:

 
[1] « Dans les années 50/60 existait en France une littérature populaire vivante, artisanale, pas toujours géniale, parfois même un peu couillonne, mais sincère, pondue par des mecs libres qui suaient sur leur machine dans leur coin. Dard était le champion, mais il y avait aussi George Arnaud (Le Salaire De La Peur), G.J. Arnaud, Mario Ropp, Kenny et tant d’autres… Plus Bruce avec son OSS 117, plus Malet sauvé plus tard par Tardi. Gérard de Villiers a importé le système de production à l'américaine, en équipe, avec grilles imposées. Avec son ‘Gérard de Villiers présente…’ et la force de distribution de la maison Plon, il a inondé les kiosques de Brigade Mondaine, JAG, Le Survivant, Le Mercenaire et autres, tous produits formatés, produits au moindre coût, qui ont tué tout le reste. Tout un vivier d’auteurs – encore une fois pas toujours grandioses – se sont retrouvés à la rue. »

samedi, 19 octobre 2013

Michel Déon ou le bonheur malgré tout

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Michel Déon ou le bonheur malgré tout

par Pierre Lafarge

Ex: http://aucoeurdunationalisme.blogspot.com

 
Les livres de Michel Déon, ce sont d’abord des souvenirs de lecture : Les Poneys sauvages dévorés à Chamonix au lendemain du baccalauréat, Le Jeune homme vert lu dans un café du port de Sanary, Mes Arches de Noé dévorées à une table du Petit Flore, Les Trompeuses espérances relues sur une plage de Saint-Malo entre deux verres pris avec leur auteur… Autrement dit, ses romans auront rythmé notre jeunesse comme ils auront souvent meublé nos vacances et nos nuits.

Après soixante années de vie littéraire, Michel Déon a eu la bonne idée de rassembler ses romans essentiels et deux récents livres de souvenirs (La Chambre de ton père et Cavalier passe ton chemin). Il a souhaité y ajouter certains de ses textes écrits pour des livres d’’art, et sa fille Alice y a adjoint une Vie et œœuvres chronologique et abondamment illustrée.

De Monaco à l’’Irlande

deon2.jpgMichel Déon est né en août 1919 à Paris. Il grandit à Monaco où son père, royaliste maurrassien, est directeur de la Sûreté. Ce dernier meurt alors que Déon n’’a que treize ans. Il retourne vivre à Paris avec sa mère et adhère à l’’Action française au lendemain du 6 février 1934. C’’est son condisciple François Perier, le futur acteur, qui lui a vendu la carte. Son bac en poche, Déon s’’inscrit à la faculté de droit et commence à travailler en parallèle à l’’imprimerie de l’AF.

Mobilisé en 1940 il se bat dans les Ardennes et échappe de justesse à la captivité. En novembre 1942, il intègre comme secrétaire de rédaction l’’équipe de l’’A.F. repliée à Lyon. Il y restera jusqu’’en août 1944 aux côtés de Maurras, « vieillard de fer et de feu » qu’’il considérera toujours comme son maître en politique. Dans la capitale des Gaules, il sympathise avec Kléber Haedens qui assure la chronique sportive du quotidien royaliste. L’’arrêt forcé du journal coïncide avec la sortie du premier roman de Déon, Adieux à Sheila, chez Robert Laffont.

Le succès viendra plus tard et Déon, revenu à Paris trouve un emploi dans un magazine d’’actualité radiophonique. Il collabore également à divers autres journaux dont Aspects de la France. Entre deux voyages aux États-Unis ou dans les pays méditerranéens, Michel Déon, promeneur stendhalien, se lie au romancier André Fraigneau, auteur trop oublié de L’’Amour vagabond et des Étonnements de Guillaume Francœur.

Ce sont les années “Saint-Germain-des-Prés”, passées en compagnie de Fraigneau, Antoine Blondin et quelques autres, qu’’il immortalisera dans Les Gens de la nuit : « Cette soirée-là finit dans un restaurant des Halles devant des pieds de cochon grillés et une bouteille de Brouilly, en compagnie de deux filles épuisées de fatigue auxquelles nous ne disions plus un mot. » En 1963, jeune marié, Déon s’installe avec sa femme, Chantal, dans une île grecque, Spetsai, qui sera jusqu’’en 1968 sa résidence principale. Jacques Chardonne viendra l’’y visiter.

Cet attrait pour la Grèce et sa lumière, Déon le doit largement à la lecture de Lawrence Durell et Henry Miller. En 1970 il reçoit le prix Interallié pour Les Poneys sauvages, son premier véritable succès littéraire et en 1973 le Grand Prix du roman de l’’Académie française pour Un Taxi mauve. Ce dernier récit se déroule en Irlande où il s’’installe définitivement l’’année suivante et où il réside encore aujourd’’hui, à Tynagh, dans le comté de Galway. Ultime consécration littéraire, l’’Académie française l’’élit en son sein en 1978.

Trois livres essentiels

Pour comprendre Michel Déon (mais aussi Jacques Laurent ou Michel Mohrt), il faut se rappeler le traumatisme qu’’a été la défaite française de juin 1940, qui plus est pour de jeunes nationalistes de vingt ans. Ce ne sont pas les horreurs de l’’Occupation puis celle de l’’épuration qui devaient le rendre plus optimiste sur l’’état de son pays. Comme l’’a bien résumé le critique Pol Vandromme : « Déon n’’a pas d’’autre sujet que la décadence » (1). L’œ’œuvre de Déon c’’est, au fond, des instants de bonheur arrachés à la chute de la civilisation.

deon1.jpegDans ce volume Quarto on trouvera notamment les trois romans les plus importants pour la compréhension des lignes de force de l’œ’œuvre de Déon : Les Poneys sauvages, pour la politique, Un déjeuner de soleil pour le romanesque et La Montée du soir pour l’’ouverture métaphysique. À travers les aventures de trois camarades de collège, de Georges Saval, de Barry Roots et de Horace Mc-Kay, Les Poneys sauvage nous content la confrontation tragique (2) entre l’’Histoire et l’’amitié dans le fracas du XXe siècle, de 1938 et 1968. Horace sera agent secret, Barry, militant communiste, et Georges, grand reporter courant « le monde pour empêcher la bassesse d’’ensevelir les vérités séditieuses » (Vandromme).


Un Déjeuner de soleil, est pour sa part le roman d’’un romancier, la vie imaginaire de l’’écrivain Stanislas Beren. S’’y entremêlent subtilement la vie de Beren, ses œœuvres imaginés et le rythme du siècle, puisque chez Michel Déon on n’’est jamais très loin de l’’actualité. Réalité et imaginaire, par leur proximité, font ici plonger le lecteur au cœœur de la création romanesque.


« Livre quasi-mystique » dira Renaud Matignon de La Montée du soir qui consiste en une approche métaphysique de la vieillesse. Un homme d’’âge mûr voit, en effet, dans ce livre publié en 1987, s’éloigner malgré lui les êtres et les objets qu’’il a aimés. Pol Vandromme a fort justement rapproché ce texte aux accents panthéistes des Quatre nuits de Provence de Maurras. Mais on peut tout autant trouver des accents pascaliens à cette méditation sur les effets du temps.


Grâce et intégrité


Michel Déon a-t-il une postérité littéraire, nous demandera-t-on à juste titre ? Assurément, et dans cette veine nous avouons préférer sans hésitation les romans de Christian Authier à Eric Neuhoff (3). Saluons également à ce propos les travaux de la revue L’’Atelier du roman, dirigée par Lakis Prodigis, qui doit beaucoup à l’’auteur de Je ne veux jamais l’’oublier.


Michel Déon, conciliant grâce et intégrité, est bien de la race de ceux qui depuis deux siècles conservent envers et contre tout une attitude salutaire, parfaitement résumée par Montherlant dans Le Maître de Santiago : « Je ne suis pas de ceux qui aiment leur pays en raison de son indignité. »


Pierre Lafarge

L’’Action Française 2000 du 19 octobre au 1er novembre 2006


* Michel Déon, Œœuvres, Quarto Gallimard, 1372 p., 30 euros.


(1) : Dans son remarquable essai Michel Déon. Le nomade sédentaire, La Table Ronde, 1990.
(2) : Au sens que lui donnait Thierry Maulnier dans son Racine : « La tragédie ne peint pas des êtres : elle révèle des êtres au contact d’’une certaine fatalité. »
(3) : Auteur de Michel Déon, Éd. du Rocher, 1994.

mardi, 08 octobre 2013

Rencontre avec Richard Millet

L.-F. Céline à Clichy

L.-F. Céline à Clichy

735458.pngpar Marc Laudelout

Le nom d’Aimée Paymal vous est parfaitement inconnu ? Si ce n’est pas le cas, vous pouvez vous targuer d’être un célinien pointu. Née en 1905, cette employée au dispensaire de Clichy dactylographia, nous dit-on, le manuscrit de Voyage au bout de la nuit. Figure destinée à sombrer dans l’oubli comme tant d’autres personnages secondaires ayant croisé la destinée de Louis Destouches.

Un jeune bibliothécaire vient de lui consacrer un (premier) roman, appliqué et sans relief, où l’on éprouve forcément quelque difficulté à discerner ce qui relève de la biographie ou du roman. Le hic c’est que pour traiter un pareil sujet, il est indispensable de bien connaître aussi la biographie de Céline. Sur la seule page 135 s’étalent deux erreurs. Ce n’est pas dans un café, en compagnie de deux collègues du dispensaire (!), que l’auteur du Voyage attendit le résultat du Goncourt : ce sont sa mère et sa fille qui étaient à ses côtés en cette matinée du 7 décembre 32. Plus ennuyeux : ce n’est pas le tapuscrit (corrigé de sa main) que Céline vendit à Étienne Bignou mais bien le manuscrit lui-même — celui qui atteignit un chiffre record (1,67 million d’euros, sans les frais) lors de la fameuse vente publique à Drouot. Un bon connaisseur de la biographie célinienne n’eût pas commis une telle erreur.

Tant qu’à évoquer Clichy (c’est le titre du roman), il eût été plus intéressant de mettre en scène une figure autrement complexe : le directeur du dispensaire, Grégoire Ichok. Ce n’est sans doute pas demain la veille qu’on disposera d’une biographie de ce médecin lituanien d’origine juive né en 1892 à Marijampolė. On sait que les relations entre Ichok et son subordonné Destouches furent exécrables. Rien d’étonnant à cela, d’autant que c’est la municipalité communiste qui nomma ce laudateur de la médecine soviétique ¹ à la tête du dispensaire flambant neuf. C’est dire si après la parution de Mea culpa, la situation devint intenable. Membre actif de la Ligue contre l’antisémitisme, Ichok était un ami personnel du député socialiste Salomon Grumbach, vice-président de la Commission des affaires étrangères. Lequel soutint sa demande de naturalisation. Naturalisé français en mars 1928, il est nommé directeur du dispensaire de Clichy six mois plus tard. Passionné de médecine sociale, Ichok est l’auteur de nombreuses études sur la question ². Le 10 janvier 1940, il se suicide en croquant une capsule de cyanure. L’homme était profondément dépressif. Dépression apparemment accentuée par le contexte international ³. Une destinée assurément plus captivante que celle de la modeste Aimée Paymal !

Marc LAUDELOUT

Vincent Jolit, Clichy, Éditions de la Martinière, 2013, 144 pages (14,90 €)

 

1. Cf. (entre autres) Alexandre Roubakine et Georges [sic] Ichok, « L’accroissement naturel de la population en URSS », La Revue d’Hygiène et de Médecine préventive, n° 10, décembre 1937.

2. Ainsi, en février 1933, une journaliste se rend au dispensaire pour y rencontrer l’auteur de La Protection de l’enfance dans une commune de banlieue (Éd. G. Doin, 1933). Cf. Hélène Bory, « Dans un dispensaire avec L.-F. Céline et le Dr Ichok », Paris-Midi, 22 février 1933.

3. « Il est vraisemblable que les événements qui ont marqué la fin de l’année 1939 n’ont pas été sans amener sa disparition prématurée ainsi que le donnait à entendre M. Barrier, ancien président de l’Académie de Médecine, au cours de l’incinération au colombarium du Père-Lachaise, le 17 janvier 1940 » in Dr R[ené] Hazemann, « Nécrologie. Grégoire Ichok », Journal de la société statistique de Paris, tome 81 (1940), pp. 105-106. L’auteur de cette nécrologie était chef du cabinet technique de la Santé publique et de l’Éducation physique sous le Front populaire. Notons à ce propos que Grégoire Ichok était le conseiller de Jean Zay, ministre de la Santé publique dudit Front populaire.

 

© Extrait du Bulletin célinien, octobre 2013.

Abonnement : 55 €.

Le Bulletin célinien, c/o M. Laudelout, Bureau Saint-Lambert, B.P. 77, 1200 Bruxelles.

 

dimanche, 29 septembre 2013

Montherlant und der nutzlose Dienst

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Montherlant und der nutzlose Dienst

von Jens Strieder

Ex: http://www.blauenarzisse.de

 

Die wichtigsten Auszüge aus Henry de Montherlants 1939 erstveröffentlichter Essaysammlung wurden im Verlag Antaios wieder aufgelegt.

Vielen deutschen Lesern ist der Name Henry Marie Joseph Frédéric Expedite Millon de Montherlant nicht mehr geläufig. Das gilt auch für sein Heimatland Frankreich. Es ist umso verwunderlicher, wenn man bedenkt, dass es sich bei dem 1895 in Paris geborenen Literaten um ein Ausnahmetalent handelte, das in nahezu allen Textformen zu Hause war: Montherlant schrieb Romane, Erzählungen, Novellen, Theaterstücke, Essays und Tagebücher. Sein Gedankenreichtum, seine Beobachtungsgabe und die durch ihre Schönheit bestechende Ausdruckskraft, sprechen für sich und machen ihn zu einem der bedeutendsten Schriftsteller des 20. Jahrhunderts.

Das Nutzlose liegt nicht im Trend

1939 erschien in Leipzig sein Essay-​Band mit dem Titel „Nutzloses Dienen”. Damit diese Texte nicht vollends in Vergessenheit geraten, ist im Verlag Antaios ein Band erschienen, der in Form von fünf Essays eine Auswahl der im Original vertretenen Schriften aus den Jahren 19281934 versammelt.

Die Namensgebung des Bandes verweist sogleich auf eine literarische, aber auch lebenspraktisch orientierte Selbstkonzeption Montherlants: Eine persönliche Haltung, die einem scheinbar sinnlosen oder gar unsinnigen Handeln einen eigentümlichen Wert jenseits jeglichen oberflächlichen Utilitarismus’ beimisst.

Das Nutzlose liegt nicht im Trend, erschließt sich nicht jedem und ist vornehmlich Selbstzweck, dessen idealistischer Wert in der Herauslösung aus dem Alltäglichen, Banalen und Kollektiven liegt. Dabei dient es Montherlant auch zur Überwindung des Nihilismus: „Was mich aufrecht hält auf den Meeren des Nichts, das ist allein das Bild, das ich mir von mir selber mache”.

Der überzeitliche Wert des eigenen Handelns

Allein dieser Satz macht deutlich, dass sich die Dienerschaft auf den Dienenden selbst bezieht. Eine derartige Selbstkonzeption sollte nicht als Ausdruck von Arroganz oder Narzissmus missverstanden werden. Vielmehr geht es Montherlant darum, dem eigenen Wirken einen ideellen und überzeitlichen Wert jenseits des Egos beizugeben.

Ein solches Verständnis vom irdischen Dasein schlägt sich dann auch in allen fünf hier enthaltenen Texten nieder. Entscheidend scheint hierbei vor allem der Umstand zu sein, dass sich Montherlants Ethik eines nutzlosen Dienstes bei aller inneren Höhe, durch eine spezielle Form von Askese auszeichnet, die nicht nur auf Anerkennung von außen verzichtet, sondern auch nicht nach sichtbaren Bezeugungen giert.

So ist für Montherlant beispielsweise die Architektur ein Spiegel dieser Ethik. Wo das Versailler Schloß in erster Linie durch äußeren Glanz und Prunk wirkt, jedoch nach Meinung von Montherlant nicht darüber hinausschaut, sind beispielsweise die spanischen Paläste durch die Verbindung von Schnörkel und schlichtester Einfachheit ein Zeichen von Strenge, welche zum unabdingbaren Wesensmerkmal echter Größe gehört.

Montherlants Selbstkonzeption als Habitus

Für Montherlant sind deshalb die einzig wertvollen Kronen diejenigen, die man sich selbst gibt, denn „[…] die gute Tat geht nicht verloren, wie vergebens sie auch gewesen ist […].” Entsprechend wird auch die „sittliche Idee” der Ehre verteidigt, die auch dann zu wahren ist, wenn sie anderen als unangemessen oder gar lächerlich erscheinen mag.

Das „Heldentum des Alltags” ist nicht weniger bedeutsam als beispielsweise jenes im Krieg und anderen Ausnahmesituationen. Vielmehr ist es Bestandteil der Würde des Menschen. Montherlant setzt nicht einfach andere Prioritäten als jene, die ihm hier nicht folgen können, sondern er wird auch zum Schöpfer seiner selbst, indem er die Rolle konzipiert, die er als endliches Wesen im Fortgang der Zeit spielen möchte – nicht als Schauspieler, sondern als Resultat eines inneren Bedürfnisses.

Somit ist es nur logisch, sich nicht mit dem von niederen Instinkten geleiteten, hässlichen gemein machen zu wollen. Der nutzlose Dienst ist so auch immer ein Akt der bewussten Sezession.

Die Unabhängigkeit des Schriftstellers

Zugleich grenzt Montherlant in einem ebenfalls abgedruckten Vortrag, den der er am 15. November 1933 vor Offizieren der Kriegsakademie hielt, jenes Handeln aus Pflichtgefühl, Notwendigkeit oder edlen Motiven gegen ein Ehrverständnis ab, das der Unbesonnenheit anheim fällt und aus Dummheit und Leichtsinn Risiken eingeht und andere Leben gefährdet.

In Der Schriftsteller und das öffentliche Wirken fordert Montherlant die Freiheit der Unbhängigkeit des Schriftstellers von gesellschaftlich relevanten Themen ein. Er wendet sich gegen das Schubladendenken und die Erwartungshaltung des Kulturbetriebs, die letztlich den wesentlichen Teil des dichterischen Ausdrucks unterdrücken. Vor dem Hintergrund der heute üblichen, feuilletonistischen Simplifizierungen und Rollenzuschreibungen kann man mit Gewissheit sagen, dass dieses Anliegen berechtigt war.

Existentielle Bedrohung von innen oder außen

In einer Lage existentieller Bedrohung von innen oder außen dagegen sieht Montherlant den Schriftsteller dennoch in der Pflicht, seinen Beitrag zu leisten. Das verdeutlicht, dass die konstatierte Eigenart keine Ausrede für Verantwortungslosigkeit oder Feigheit sein kann. Ein geistig-​moralischer Führungsanspruch im Sinne einer engagierten Literatur” lässt sich hieraus jedoch keineswegs ableiten und wird vom Autor auch verworfen.

Für alle, die sich für diesen großen Geist interessieren, stellt der Band trotz seiner Knappheit den idealen Einstieg für eine tiefergehende Beschäftigung mit dessen Werk und Wirkung dar.

Henry de Montherlant: Nutzloses Dienen. 88 Seiten, Verlag Antaios 2011. 8,50 Euro.

vendredi, 20 septembre 2013

Cioran, le flâneur aux idées noires

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Archives - 1995

Cioran, le flâneur aux idées noires

Par Didier Sénécal

Ex: http://www.lexpress.fr

Notre plus illustre moraliste s'est choisi sa vie. En adoptant la langue française comme une patrie, en décidant de ne jamais travailler, en veillant quand le monde dort...

Cioran est peut-être notre dernier écrivain légendaire. Grâce à son refus des projecteurs et à son indifférence aux honneurs, il a conservé une part de mystère - d'autant qu'il ne s'est jamais donné la peine de corriger les erreurs qui courent à son propos. Ainsi, les dictionnaires sont unanimes à le prénommer Emil Michel. La réalité est tout autre: comme Emil lui paraissait ridicule pour des oreilles françaises, il a adopté les initiales E.M., autrement dit les deux premières lettres de son prénom, en songeant au romancier anglais E.M. Forster. 

Emil Cioran, donc, est né en 1911 à Rasinari, village de Transylvanie, alors sous domination austro-hongroise. Son enfance est enchantée: il galope dans les collines en toute liberté et écoute les bergers dont les histoires proviennent de la nuit des temps. En 1921, ce bonheur prend fin brutalement. Son père, un prêtre orthodoxe, le conduit au lycée de Sibiu, la grande ville voisine où se côtoient Roumains, Hongrois et Allemands. Sept ans plus tard, il part étudier la philosophie à Bucarest. La rupture qui va déterminer toute son existence date de cette époque: le sommeil le fuit. Tenté un moment par le suicide, il préfère suivre le conseil de Nietzsche et transformer ses insomnies en un formidable moyen de connaissance: "On apprend plus dans une nuit blanche que dans une année de sommeil." Etudiant brillant, il écrit son premier livre, Sur les cimes du désespoir, à l'âge de vingt-deux ans. Beaucoup le considèrent comme un des espoirs de la jeune littérature roumaine, aux côtés d'Eugène Ionesco ou du déjà illustre Mircea Eliade. 

Après un séjour à Berlin, le voici professeur de philosophie au lycée de Brasov durant l'année scolaire 1936-1937. Expérience mouvementée, si l'on en juge par son surnom dans l'établissement: "le Dément". A l'en croire, le directeur "se saoule la gueule" le jour de son départ! Mais il doit laisser un sacré souvenir à ses élèves, car certains viendront encore lui rendre visite au bout de plusieurs décennies. C'est en tout cas une expérience unique: il n'exercera plus jamais la moindre activité professionnelle. 

En 1937, une bourse de l'Institut français de Bucarest lui permet d'aller préparer sa thèse à Paris. Non seulement il n'en écrit pas le premier mot, mais il est même incapable d'imaginer un titre... Les années suivantes sont consacrées à d'immenses lectures, à des randonnées à vélo dans les provinces françaises, à la poursuite de son ?uvre en roumain. Cioran vit comme il l'entend: pauvrement, mais sans contraintes, libre de déambuler des nuits entières dans les rues et d'approfondir ses obsessions. Pourtant, il se rend compte qu'il s'est engagé dans une impasse. Il vaudrait mieux, prétend-il, être un auteur d'opérettes que d'avoir écrit six livres dans une langue que personne ne comprend! 

Selon son propre témoignage, il aurait décidé d'adopter le français alors qu'il traduisait Mallarmé en roumain. D'autres épisodes ont sans doute joué un rôle important, en particulier un cours au Collège de France durant lequel un mathématicien étranger effectue une démonstration au tableau noir sans avoir besoin d'ouvrir la bouche. Cette mue linguistique est aussi capitale que l'abandon du russe par Nabokov au profit de l'anglais. Désormais, le français - et qui plus est, le français du XVIIIe siècle - va lui servir de "camisole de force"; la langue de Chamfort va corseter le lyrisme balkanique d'un désespéré qui ne jure que par Thérèse d'Avila et Dostoïevski. De là vient ce ton unique: cette invraisemblable synthèse entre la fièvre et la sagesse, entre le délire mystique et l'ironie des moralistes classiques. 

En 1947, Gallimard accepte la première mouture du Précis de décomposition. Cioran retravaille son manuscrit, qui est publié deux ans plus tard. Les critiques sont excellentes, mais le public ne suit pas. Et cette situation va se prolonger pendant près de trente ans. Il faut dire que Cioran est aux antipodes de Jean-Paul Sartre, qui fait alors la pluie et le beau temps, et qu'il éprouve une haine inexpiable envers le communisme. Les nouveaux maîtres roumains ont emprisonné son frère et certains de ses amis, et ses livres sont interdits de l'autre côté du rideau de fer. Cependant, plusieurs éléments lui donnent la force de surmonter les humiliations, les échecs, les volumes pilonnés. Ses amis, d'abord, qui se nomment Ionesco, Eliade, Beckett, Michaux ou Gabriel Marcel. Ses lecteurs, ensuite, très rares mais généralement fanatiques: "Les gens qui s'intéressent à moi ont forcément quelque chose de fêlé..." 

Et puis, peu à peu, le couvercle se soulève. En 1965, François Erval publie le Précis de décomposition en édition de poche. Une nouvelle génération découvre Les syllogismes de l'amertume et La tentation d'exister. Des traductions paraissent en Allemagne, aux Etats-Unis, en Espagne; les articles se multiplient; les chiffres de vente décollent enfin du plancher. 

Obscur ou fameux, Cioran demeure tel qu'en lui-même. Il continue à fuir les médias et à décliner les prix littéraires. Il brode inlassablement, dans un style d'une élégance glaciale, sur les thèmes qui le hantent depuis l'adolescence: le vertige du temps, la mort, "l'inconvénient d'être né", le mysticisme chrétien, l'essoufflement de la civilisation occidentale, Bouddha, Shakespeare, Bach. Sans doute considère-t-il cette célébrité tardive comme un malentendu; lorsqu'il plaint Borges, c'est à lui-même qu'il songe: "La consécration est la pire des punitions (...) A partir du moment où tout le monde le cite, on ne peut plus le citer, ou, si on le fait, on a l'impression de venir grossir la masse de ses ''admirateurs", de ses ennemis." 

Aveux et anathèmes est publié en 1987. C'est son dernier livre. Si les bruits qui courent en avril 1988 sur une éventuelle tentative de suicide sont infondés, en revanche, il est exact qu'il renonce définitivement à écrire. Atteint par une maladie grave, Cioran vit aujourd'hui dans un hôpital parisien. Cinquante-huit ans après avoir quitté la Roumanie pour jeter l'ancre au Quartier latin, il a toujours le statut d'apatride. 

Ce que je sais à soixante, je le savais aussi bien à vingt. Quarante ans d'un long, d'un superflu travail de vérification...
(De l'inconvénient d'être né) 

Ma vision de l'avenir est si précise que, si j'avais des enfants, je les étranglerais sur l'heure.
(De l'inconvénient d'être né) 

Cioran

mercredi, 11 septembre 2013

Dominique Venner, lecteur de Céline

 

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Dominique Venner, lecteur de Céline

par Marc LAUDELOUT


Dans son livre-testament ¹, Dominique Venner évoque Céline et plus particulièrement Les Beaux draps, « ce curieux livre qui délivrait un message furibard à l’encontre de la prédication chrétienne, ultime recours du régime de Vichy qu’il méprisait ». Et de citer la fameuse sortie de Céline visant « la religion de “Pierre et Paul” [qui] fit admirablement son œuvre, décatit en mendigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christianique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux, leurs religions exaltantes, leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race. (…) Ainsi, la triste vérité, l’aryen n’a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de religion blanche. Ce qu’il adore, son cœur, sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses pires ennemis. »


Venner observe avec pertinence que, dans un langage différent, Nietzsche n’avait pas dit autre chose. Cet été, Anne Brassié, dans un quotidien fervemment catholique, a adressé une lettre post-mortem  à Venner ². N’ayant jamais lu Les Beaux draps, la biographe de Brasillach précise qu’elle ne connaissait pas ce texte et s’insurge contre cette attaque frontale de la religion chrétienne, d’autant  que le païen Venner  la faisait  sienne  mutatis mutandis.


Encore faut-il préciser ce qui, pour Céline, constituait le crime des crimes : « La religion catholique fut à travers toute notre histoire, la grande proxénète, la grande métisseuse des races nobles, la grande procureuse aux pourris (avec tous les saints sacrements), l’enragée contaminatrice ».


Céline, défenseur résolu du génie de la race et de son intégrité, reprochait à l’Église de favoriser le métissage par sa doctrine égalitaire. Après avoir vu un de ses textes censuré par la presse doriotiste, il tint à faire connaître la phrase caviardée :  « L’Église, notre grande métisseuse, la maquerelle criminelle en chef, l’antiraciste par excellence. » L’antienne n’était pas nouvelle. Quatre ans plus tôt, dans L’École des cadavres, il vouait aux gémonies les « religions molles ».  Et précisait déjà  : « Vive la Religion qui nous fera nous reconnaître, nous retrouver entre Aryens, nous entendre au lieu de nous massacrer, mutuellement, rituellement, indéfiniment. »


Anne Brassié admet que « la violence de Céline est née de sa terrible clairvoyance, l’Europe s’engageant dans une seconde guerre civile après le premier suicide de la guerre de 14-18 ». Cela étant, elle rétorque : « Sont-ce vraiment les chrétiens qui ont préparé ces guerres ? Qui furent envoyés au front pour mourir, dès 1914, en première ligne ? Les paysans bretons, catholiques, les officiers français catholiques et le premier d’entre eux, Péguy. » Mais pour Céline, la religion chrétienne est une religion juive facilitant les grands massacres en anesthésiant les peuples ainsi aliénés ³. Si Céline est antinationaliste c’est parce qu’il considère que les nations sont manipulées et génératrices de guerre. Pour lui seule la race est capable d’éradiquer la nation, d’où cette vision du « racisme » perçu comme antidote au nationalisme. Cette conviction peut aujourd’hui être ignorée et dissociée de son esthétique. Il n’en demeure pas moins qu’elle fut sienne.


 

Marc LAUDELOUT

 

 

1. Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2013.

2. Anne Brassié, « Un samouraï d’Occident », Présent, n° 7899, 20 juillet 2013, p. 5a-e.

3. Nietzsche considère que le christianisme représente le judaïsme « à la puissance deux » (La Volonté de puissance, 1887) dans la mesure où l’esprit judaïque s’y est universalisé.

 

© Extrait du Bulletin célinien, septembre 2013.

Abonnement 1 an : 55 euros.

Le Bulletin célinien, Bureau Saint-Lambert, B.P. 77, 1200 Bruxelles.

Voyage au bout de la nuit

Les Sélénites revisiteront l’oeuvre majeure de Céline, Voyage au bout de la nuit, au Théâtre 2.21 de Lausanne du 24 septembre au 6 octobre 2013 dans une adaptation intitulée « Voyages au bout de la nuit (Hommes et ombres) ». Mise en scène Pascal Francfort, musique Marc Etienne Besson.

Théâtre 2.21
Rue de l’Industrie 10
1005 Lausanne

« Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination ». Chef-d’œuvre de la littérature du XXème siècle, Voyage au bout de la nuit continue à fasciner. Les thématiques bouleversantes qui tissent ce roman ne se sont jamais démodées. Guerre, colonisation, progrès, nouveau monde, amour, folie, survie, tout est là, sans concessions. Le regard acerbe que Céline porte sur son époque nous raconte encore et encore, et bien des fois terriblement, notre histoire. En s’inspirant de l’œuvre de Céline, les Sélénites vous convient à remettre le Voyage en route en ouvrant les portes de l’imaginaire. Une invitation à goûter à l’essence des sensations, à l’ivresse des perceptions, en fermant les yeux pour mieux voir. Une expérience sonore et visuelle, entre mémoire, rêve et réalité.

vendredi, 06 septembre 2013

Esprits insoumis

"Il faut être indulgent à ceux qui, au lieu de profiter paisiblement des grandes routes toutes tracées et foulées par les générations précédentes et par les aînés, s’en écartent pour chercher une autre voie. Ils ont au moins de l’audace et du courage, vertus essentielles aux conquérants, si modestes soient-ils. Ils ne sont pas tous des triomphateurs mais il ne faut pas sourire devant le sentier, si petit soit-il, que quelques-uns parmi eux frayent dans n’importe quel domaine, parce qu’il y aura toujours des esprits insoumis qui préféreront aux belles routes battues les sentiers pittoresques et incertains, et aussi parce que des sentiers tracés peuvent devenir, grâce à ceux qui suivront et qu’ils auront tentés, de larges avenues."


Valentine de Saint-Point

Ex: http://zentropaville.tumblr.com

jeudi, 05 septembre 2013

Intellectuels sous l'occupation

INTELLECTUELS SOUS L’OCCUPATION

 
Une réalité complexe

Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr
 
riding22.gifLe premier mérite de l’auteur, journaliste américain installé de longue date en France, c’est qu’il évite d’aborder une période compliquée avec des idées simples. Peu de périodes furent aussi compliquées que celle de l’Occupation. Alan Riding pose les bonnes questions : « Est-ce que le fait d’avoir travaillé sous l’Occupation était systématiquement une forme de collaboration ? » Des questions cruciales pour les intellectuels et artistes. 

Il y avait, montre-t-il, une infinité de nuances ente la résistance franche et la collaboration assumée, nuances passant notamment par la résistance passive – le fait de publier le minimum – le retrait de la vie littéraire, ou un mélange de collaboration et de services rendus à la Résistance. « Les Parisiens auraient été surpris d’apprendre que certains écrivains célèbres, des musiciens, des cinéastes, qui travaillaient avec l’accord des Allemands, étaient en même temps engagés dans la Résistance. » Si l’attitude des intellectuels et artistes français fut rien moins que monolithique, l’attitude des Allemands fut elle-même souvent complexe, entre répression, intimidation et tentative de séduction des intellectuels. C’est pourquoi la résistance littéraire fut bien souvent plutôt une dissidence de l’intérieur qui n’inquiétait pas outre mesure l’occupant allemand. « A partir de 1942, aucun de ceux qui étaient impliqués dans le Comité national des écrivains ou dans les groupes plus petits du cinéma, des arts, de la musique ou du théâtre ne fut arrêté. Une explication plausible est que, tout en étant décidé à lutter contre la résistance armée, les Allemands accordaient peu d’importance à ces groupes. » 

Une réalité complexe difficilement conciliable avec  les stéréotypes trompeurs d’une France toute entière résistante mais aussi avec la nouvelle vulgate dévalorisante présentant les Français comme massivement compromis dans la collaboration. Un écart entre le réel et le discours qui explique le persistant malaise français quant à l’histoire de la période 1940-1944. Comme le disait Jean-Galtier Boissière : veni, vidi, Vichy. Nous ne nous en sommes pas encore tout à fait remis.

Alan Riding, Intellectuels et artistes sous l’Occupation. Et la fête continue, Flammarion-Champs-histoire, 442 pages, 12 E.

lundi, 02 septembre 2013

VILLON & CÉLINE de Pierre de BONNEVILLE

Vient de paraître : VILLON & CÉLINE de Pierre de BONNEVILLE

 
Les éditions Dualpha viennent de publier Villon & Céline de Pierre de Bonneville. Initialement paru aux éditions Improbable, ensuite publié en plusieurs partie par Le Bulletin célinien puis repris sur notre site (ici), ce texte fait un parallèle très intéressant entre les deux illustres écrivains, leurs vies, leurs époques, leurs styles...


Pierre de BONNEVILLE, Villon & Céline, Dualpha, 2013.
98 pages, 15 €
Commande sur www.francephi.com.


Quatrième de couverture 
Villon et Céline : près de cinq siècles les séparent, mais ils ont beaucoup de points communs. Parmi ceux-ci, l’auteur a relevé l’identité, la personnalité, le milieu, le génie, l’invention, le parcours, le destin, la musique, le comique et le tragique. Dans un parallèle rigoureux, il nous trace ces ressemblances, qui sont l’occasion de replonger dans les citations, les textes de ces deux écrivains d’exception.
« Les études comparatistes ne sont plus guère à la mode. Le fait que notre auteur renoue avec cette tradition se justifie tant il est vrai que le parallèle entre l’œuvre et l’itinéraire respectifs de Villon et Céline apparaît ici comme une évidence. Se basant notamment sur la somme du grand médiéviste Pierre Champion, il passe en revue tout ce qui les réunit. Leur destin d’écrivain maudit bien sûr, mais surtout ce lyrisme basé sur l’émotion et les ressources du langage populaire » (Marc Laudelout).

lundi, 26 août 2013

Montaigne et l’indifférence active

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Montaigne et l’indifférence active

par Claude BOURRINET

1) Dans les Essais, le discours n’est nullement l’enregistrement d’une existence mais le monologue d’une conscience qui se voit agir, qui s’accepte agissante sans pour cela paraître trop indulgente ni sans omettre de relever ce qui est digne d’être pris comme modèle. Il est donc tentant de soupçonner a priori une mauvaise foi latente dans tout ce qui est avoué, et d’autant plus que c’est avoué. Les relations qui existent entre Montaigne et son œuvre sont d’ordre dialectique. Dialogue socratique entre un homme qui voudrait être, sans plus (mais tâche ô combien ardue !) et une excroissance de cette essence problématique, monstrueuse (dans le sens du XVIe siècle) et inquisitrice, dont la tâche est d’établir un bilan sans concession et de ne cesser de rappeler qu’il est nécessaire d’accepter, pour être. De boire la coupe jusqu’à la lie. Une manière de conscience assumée, en quelque sorte, superlative, alternant entre lucidité aiguë et impératif pratique.

 

2) Le discours des Essais a ceci de singulier qu’il se détruit lui-même en avouant son incapacité à réformer la vie. C’est un anti-discours, comme celui des pyrrhoniens. Impression de n’en jamais tenir le bout, de perpétuel enlisement. Sa véritable sagesse, c’est l’absence de sagesse.

 

3) De vouloir trop appréhender l’homme Montaigne, malgré le prologue des Essais, c’est renouveler l’illusion réaliste dans l’art pictural.

 

4) Quand on lit et apprécie les Essais, on se sent délivré de tout scrupule à se réconcilier avec les mille travers de l’humaine condition, tellement ils nous semblent devenus naturels, mais aussi innocents, et l’un parce que l’autre (ce que rend bien le terme « naïf »). À vrai dire, il peut paraître excessif de prétendre cela. Mais ces travers ne sont ni mauvais, ni bons : ils sont ce que la nature et nous-mêmes les faisons, ce qui laisse une substantielle amplitude à la Fortune et à la volonté.

 

5) Inutilité des Essais en période vertueuse. Les cannibales en auraient-ils besoin ? Les Essais n’existent que parce que le siècle est corrompu.

 

6) Il faut prendre garde que Montaigne se veut hautement, ou bassement (au sens de basse continue) philosophe : « La moyenne région loge les tempestes, les deux extrêmes, des hommes philosophes et des hommes ruraus, concurrent en tranquillité et au bon heur ».

 

7) C’est à cette époque que les derniers feux de l’idée de croisade s’éteignent.

 

8 – L’intériorisation et la spiritualisation du sentiment de l’honneur tendent à remplacer son ostentation, même dans la dévotion. François de Salles fondera l’humble, l’orgueil de n’être que commun.

 

9) Montaigne change parfois de chaussures, mais c’est toujours pour aller sur la même voie et dans la même direction.

 

10) Écrire et publier sont deux fonctions qui appartiennent à des individus différents. Publier est affaire de vanité, de mensonge, de sincérité, de dévoilement, de témoignage, de générosité, d’égoïsme, d’intérêt bien compris, que sais-je encore ? Mais écrire est affaire d’être.

 

11) Le discours de Montaigne (pensée appuyée sur des expériences) n’est pas discours rationnel : « La plus part des instructions de la science à nous encourager ont plus de montre que de force, et plus d’ornement que de fruict (La Pléiade, p. 1026) ».

 

12) Dans les Essais, on ne trouve pas tout de la doctrine chrétienne, mais tout ce qu’on y trouve, on eût pu l’y chercher.

 

13) L’indifférence est un idéal asymptotique.

 

14) Il se peut que Montaigne ne se soit pas définitivement « corrigé », mais au moins s’est-il progressivement découvert, non abstraitement, mais dans sa chair, ce qui n’a pas été sans efforts et sans sacrifices. Il est tragique sans pathos.

 

15) Sacrifice du « vieil homme ». Se connaître, c’est connaître ce que Dieu a daigné que l’on soit. Loin d’être « impersonnel », le Montaigne « stoïcien » était résolument individualiste. Élaguer le moi de cette protubérance vaniteuse et ostentatoire, c’est redevenir véritablement « impersonnel », enfant de Dieu et de Fortune. Et là est atteinte la véritable personne.

 

16) La sagesse de Montaigne n’existe pas a priori, elle est Expérience, elle est Leçon, que l’on reçoit et donne. La sagesse est apprentissage.

 

17) Le siècle devient « comme un autre passé (La Pléiade, p. 1081) ». Il n’est plus ce présent indigne du passé : il devient une deuxième Antiquité. Passé, présent, futur sont identiques.

 

18) Montaigne n’est ni stoïcien, ni épicurien, ni pyrrhonien, ni quoi que ce soit de ce que la Grèce et Rome ont légué, mais un peu de tout cela. Il est avant tout Montaigne. Et, au demeurant, devrions-nous le classer à tout prix, il nous faudrait l’intégrer à cette longue lignée de philosophes chrétiens qui, jusqu’à l’humanisme dévot en train de naître, s’est évertué de replacer l’homme à sa juste place sans l’écraser.

 

19) Nous sommes si éloignés de la vie et de nous-mêmes que la redécouverte qu’en fait Montaigne nous semble une nouveauté miraculeuse.

 

20) Le Livre III des Essais, et surtout les derniers chapitres, sont parmi les expressions les plus pures du mysticisme baroque.

 

21) Il faut se garder de croire naïvement, malgré certains passages des Essais, que Montaigne préconise une vie médiocre, sans s’apercevoir en quoi cet idéal est utopique pour un homme tel que lui. Ces « ruraus », ce sont les cannibales de son terroir. Bien sûr, ils « vivent », et la bête elle-même manifeste pleinement la puissance d’être. Mais vivre, est-ce « exister » ? Avoir conscience de vivre, n’est-ce point doublement vivre ?

 

22) Les Essais sont une conquête personnelle du présent, du siècle et de l’instant. De la présence.

 

23) On ne peut parfois s’empêche de penser qu’il y a du « fumeur de haschisch, chez Montaigne. Moins l’orgueil.

 

24) En grand danger de nihilisme ? Dans un passage de l’Apologie de Raymond Sebond, il est dit en substance qu’il est dangereux de s’aventurer plus avant. Tzara : « Les réactions des individus contaminés par la destruction, sont assez violentes, mais ces réactions, épuisées, annihilées par l’insistance satanique d’un à quoi bon continuel et progressif, ce qui reste et domine est l’indifférence. »

 

25) L’indifférence active est la suprême conscience.

 

26) Ce même mouvement qui porte l’intérêt de Montaigne pour le passé et le présent a pour aboutissement la réconciliation et comme moyen la rupture. Il procède de la redécouverte émerveillée d’un monde que l’on croyait connaître.

 

27) Montaigne cherche à reconstituer un Nomos afin que, quelque combat qu’il mène, il se trouve toujours en situation de préserver les remparts de son être. Mais ces murailles, c’est le monde. Nomos équivaut à Kosmos.

 

28) Montaigne a eu besoin de son livre pour se réconcilier. La béance se sera élargie chez Cervantès, et la sagesse devra s’accorder avec la folie.

 

29) Il ne faut pas tomber dans le piège des justifications prétendument « sincères » de Montaigne, à propos des raisons qui l’ont poussé à écrire. Il n’est rien de plus renard que la sincérité. La littérature est mauvaise foi. Il faut douter de toute affirmation péremptoire de l’auteur. Écrit-il pour ses proches ? Par originalité ? Sait-on vraiment pourquoi il écrit ? Sait-on pourquoi l’on écrit ? Les Essais sont entre autre la cristallisation d’impératifs qu’il se donne, moraux ou non, et qu’il ne suit pas toujours. Ils sont comme un miroir, mais un miroir déformé et déformant, renvoyant une image redressée du monde et de lui-même, du moins ce que Montaigne se veut être en se surprenant. S’il y a sincérité, elle est dans la relation courageuse qu’il établit avec son livre, c’est-à-dire avec sa conscience.

 

30) Tout ce qu’il dit à propos des Essais n’est pas faux, mais dans le sens qu’il donne aux termes « mensonge » et « vérité », qui sont des modalités justifiées de l’être et de sa puissance.

 

31) Car si l’on s’en tient uniquement, et docilement, à ce qu’il dit de lui-même et de son œuvre, on risque d’être désabusé : il n’existe pas de livre, ni d’individu, de son aveu même, qui ne soient aussi farcis de contradictions, constat qui authentifie sa vérité, plus sûrement que toute démonstration.

 

32) On s’est souvent arrêté à la nonchalance de Montaigne, et on a trop négligé ce qu’elle supposait de luttes dramatiques, pas toujours victorieuses.

 

33) La « diversion » est-elle encore fiable dès lors que l’on s’attache volontairement à la mettre en pratique ? Il subsiste toujours un Montaigne rebelle aux effets de l’indifférence totale, un Montaigne, non certes angoissé, mais inquiet et roide, non point à cause d’une trop grande soif de lucidité, mais de cette lucidité même, d’une tension trop aiguë vers la réalisation de l’être.

 

34) La « lucidité » de Montaigne provient non d’un détachement radical du monde, mais d’une adhésion à sa nature profonde, à sa nécessité, fût-elle à fleur de peau.

 

35) L’ignorance consiste à concéder de la substance à la perception phénoménale du monde. La docte ignorance est de s’accommoder de cette substance, et d’avoir la sagesse d’en jouir.

 

Claude Bourrinet

 


 

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dimanche, 21 juillet 2013

Hommage à Jean Guenot

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Hommage à Jean Guenot

Marc Laudelout

 

Il est notre vétéran du célinisme. Né en 1928 (quelques années avant Alméras, Gibault, Hanrez et Godard), Jean Guenot est l’un des derniers célinistes à avoir rencontré le grand fauve. Il n’avait alors qu’une trentaine d’années et, comme le releva Jean-Pierre Dauphin, il fut l’un de ceux qui, au cours de ces entretiens, renouvelèrent le ton de Céline. Lequel n’avait été approché jusqu’alors que par des journalistes aux questions convenues.


Une quinzaine d’années plus tard, il édita lui-même son Louis-Ferdinand Céline damné par l’écriture  qui lui vaudra d’être invité par Chancel, Mourousi et Polac.  L’année du centenaire de la naissance de l’écrivain, il récidiva avec Céline, écrivain arrivé, ouvrage allègre et iconoclaste. Professeur en Sorbonne,  Jean Guenot a oublié d’être ennuyeux. Ses cours sur la création de textes en témoignent ¹.


Au cours de sa longue traversée, Guenot s’est révélé journaliste, essayiste, romancier, auteur de fictions radiophoniques, animateur et unique rédacteur d’une revue d’information technique pour écrivains pratiquants qui en est à sa 27ème année de parution. Infatigable promeneur dans les contre-allées de la littérature, tel que l’a récemment défini un hebdomadaire à fort tirage ².


Linguiste reconnu ³, c’est son attention au langage et à l’oralité qui fit de son premier livre sur Céline une approche originale à une époque où l’écrivain ne suscitait guère d’étude approfondie. Lorsqu’à l’aube des années soixante, Jean Guenot s’y intéresse, Céline est loin d’être considéré comme un classique. Trente ans plus tard, les choses ont bien changé. L’année du centenaire, Guenot établit ce constat : « Louis-Ferdinand Céline est un écrivain aussi incontesté parmi ceux qui ne lisent pas que parmi ceux qui lisent ; parmi les snobs que parmi les collectionneurs ; parmi les chercheurs de plus-values les plus ardents que parmi les demandeurs les plus aigus de leçons en écriture». Nul doute que lui, Guenot, se situe parmi ceux-ci. C’est qu’il est lui-même écrivain. Et c’est en écrivain qu’il campe cette figure révérée.


Un souvenir personnel. Si je ne l’ai rencontré qu’à deux ou trois reprises, comment ne pas évoquer cet après-midi du printemps 1999. Il était l’un des participants de la « Journée Céline » 4. Comme pour mes autres invités, je commençai par lui poser une question. Ce fut la seule car il se livra à une époustouflante improvisation pertinente et spirituelle à la fois. Des applaudissements nourris et prolongés saluèrent son intervention. C’est dire s’il compte parmi les bons souvenirs des réunions céliniennes que j’organisai alors à l’Institut de Gestion, quai de Grenelle.


On l’a longtemps confondu avec Jean Guéhenno. Sans doute la raison pour laquelle il abandonna l’accent aigu de son patronyme. Aujourd’hui  l’académicien  – qui d’ailleurs ne se prénommait pas Jean mais Marcel ! –  n’est plus guère lu.  Jean  Guenot, lui, l’est toujours par les céliniens. Et s’ils sont amateurs d’écrits intimes, ils n’ignorent pas davantage l’écrivain de talent qu’il est 5.


Marc LAUDELOUT

 

1. Ce cours en vingt leçons, diffusé sur Radio Sorbonne, est disponible sous la forme de dix cassettes-audio diffusées par l’auteur. Prix : 80 €. Voir le site http://monsite.wanadoo.fr/editions.guenot.

2. Le Canard enchaîné, 5 juin 2013.

3. Clefs pour les langues vivantes, Éditions Seghers, coll. « Clefs », 1964.

4. Difficile de ne pas avoir la nostalgie de cette époque : outre Jean Guenot, mes invités étaient, ce 3 avril 1999, Éliane Bonabel, André Parinaud, Pierre Monnier, Paul Chambrillon, Anne Henry et Henri Thyssens, excusez du peu !

5. Le troisième tome de son autobiographie vient de paraître : Mornes saisons évoque ses souvenirs de l’occupation et fait suite à Sans intention et Ruine de Rome. Il y aura cinq tomes au total. Prix : 40 € chaque volume.

vendredi, 12 juillet 2013

« CÉLINE, un exemple de radicale insoumission »

« CÉLINE, un exemple de radicale insoumission »

par Dominique VENNER (2013)

Ex: http://www.lepetitcelinien.com

 
Les éditions P.-G. de Roux viennent de publier Un samouraï d'Occident, Le Bréviaire des insoumis, « livre-testament » de Dominique Venner, mort de manière spectaculaire le 21 mai dernier. Cet « historien méditatif » se penche dans cet ouvrage sur la longue tradition des Européens, son histoire, son avenir. Quelques lignes sont consacrées à Céline...
 
Certains exemples inattendus de retour à des représentation antiques affranchies du christianisme ont des précédents célèbres et bien répertoriés. En Allemagne, Goethe, Nietzsche ou Heidegger ; en Espagne, Ortega y Gasset ; en Italie, Croce, Pareto, Marinetti et Julius Evola. En France, dans la période contemporaine, on songe aux positions explicites d'Hyppolyte Taine, Anatole France, Ernest Renan, Fustel de Coulanges, Maurice Barrès, Thierry Maulnier, Jacques Laurent, Lucien Rebatet, Emile Cioran. Mais on peut s'attarder un instant sur les exemples de Montherlant, Maurras, Céline et, dans une moindre mesure, du maréchal Lyautey qui tous ont laissé des témoignages écrits auxquels on peut se référer.
 
[...]
 
La virulente polémique de Céline

Considéré comme le plus grand écrivain français du XXè siècle, rénovateur de la langue et du style, habité par une sorte de délire prophétique, Louis-Ferdinand Destouches, Céline en littérature, constitue un autre exemple de radicale insoumission. Gravement blessé au cours des premiers combats de 1914, il fut décoré et réformé. Ayant entrepris des études de médecine, il soutint sa thèse en 1924 sur la vie et l'oeuvre du Dr Semmelweis. Entré au service d'hygiène de la S.D.N., il fut envoyé en mission aux U.S.A., en Europe et en Afrique jusqu'en 1927. Cinq ans plus tard, il publiait Voyage au bout de la nuit, salué aussitôt comme une oeuvre littéraire capitale. Tout comme Léon Daudet dans L'Action française, l'intelligentsia de gauche réserva un accueil chaleureux à un auteur qui semblait lui appartenir, mais l'écrivain-médecin était rétif à tout embrigadement. La publication de Mea culpa (1936), après un voyage en U.R.S.S., montra qu'il n'avait pas été dupe du paradis soviétique. Ce livre consomma son divorce avec une gauche que dominaient les communistes.

Sentant venir une nouvelle guerre, Céline en attribua la responsabilité à une conspiration juive. Coup sur coup, il publia deux pamphlets qui le firent soudain apparaître comme un antisémite enragé : Bagatelles pour un massacre (1937) et L'École des cadavres (1938). Vitupérant la guerre et les charniers à venir, il dénonçait à sa façon « la coalition du capitalisme anglo-saxon, du stanilisme et du lobby juif » dont l'objectif (selon lui) était d'envoyer au massacre la jeunesse française en une guerre franco-allemande où elle-même n'interviendrait pas avant l'épuisement des combattants sacrifiés.

Dans un genre assez différent, Céline publia en 1941 un nouveau pamphlet, Les Beaux draps, sans doute la seule de ses oeuvres qu'illumine un léger halo d'espérance. A côté d'une célèbre tirade sur le « communisme Labiche », il livrait une méditation poétique sur l'esprit de la France, écrite dans le style des ballades et des virelais du XVè siècle, non sans quelques coups de patte fort injustes donnés à Montaigne.

Ce curieux livre, où l'antisémitisme, quoique présent, est assez estompé, délivrait cette fois un message furibard à l'encontre de la prédication chrétienne, ultime recours du régime de Vichy qu'il méprisait : « Propagée aux races viriles, aux races aryennes détestées, la religion de "Pierre et Paul" fit admirablement son oeuvre, elle décatit en mandigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race... Ainsi la triste vérité, l'aryen n'a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de religion blanche... Ce qu'il adore, son coeur, sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses pires ennemis... » Dans un langage différent, Nietzsche n'avait pas dit autre chose.

L'ouvrage fut interdit par les services de Vichy en zone Sud et suscita les plus vives réserves de la Propaganda Abteilung...

 

Dominique VENNER, Un samouraï d'Occident, Le Bréviaire des insoumis, P.-G. de Roux, 2013.
Commande possible sur Amazon.fr.

samedi, 15 juin 2013

Le Bulletin célinien n°353

Le Bulletin célinien n°353 - Juin 2013

 
 
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°353. Au sommaire : 

Marc Laudelout : Bloc-notes.
Pierre Assouline : Un roman peut-il servir de sources aux historiens ? Le cas Céline.
Jean-Pierre Dauphin : L’œuvre exige des soins scrupuleux [1967]
M. L. : Le Livre de Poche a 60 ans.
Éric Mazet : Gen Paul et Céline. La Bataille du Styx.
Frédéric Saenen : Céline « mi-Diogène mi-Roi Lear ».
Pierre Lalanne : Un colloque sur les pamphlets.
M. L. : Les lectures de Christopher Gérard et de Philippe d’Hugues. 


Le Bulletin célinien, Bureau Saint-Lambert, B. P. 77, 1200 Bruxelles.
Courriel : celinebc@skynet.be.

Abonnement 1 an, 11 numéros : 55 €

Consulter le sommaire des anciens numéros ici.


Bloc-notes

Il est temps de passer aux aveux : cela fait une quarantaine d’années que Céline me fascine. Au point de lui consacrer depuis quasi autant de temps le bulletin que vous avez entre les mains ¹.
 
J’apprends que la revue Études céliniennes a été créée parce que ses animateurs refusent précisément de « céder à la fascination que peuvent susciter Céline et son œuvre ». Et de revendiquer « une approche ouvertement critique, au sens étymologique et philosophique du terme ² ». Oserais-je l’écrire ? Le rôle que s’était assigné la Société des études céliniennes en 1976 me paraît davantage empreint de sérénité : « Réunir, en dehors de toutes passions politiques ou partisanes, tous ceux, lecteurs, chercheurs ou collectionneurs, qui s’intéressent à l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, et favoriser par tous moyens la connaissance de celle-ci. ».
 
Les temps ont changé. Nous sommes à l’heure de la moraline. Il s’agit de faire preuve de la plus grande vigilance à l’égard de cet écrivain mort il y a plus d’un demi-siècle. Dans le précédent BC, j’évoquais cette célinienne se demandant, anxieuse, si le plaisir éprouvé à lire Céline n’est pas compromettant. Lors d’un récent colloque, des universitaires se sont gravement interrogé sur l’opportunité qu’il y avait de rééditer les pamphlets ³. Le fait qu’il s’agisse d’une édition critique due à un céliniste irréprochable n’a manifestement pas suffi à dissiper l’inquiétude de certains. Et tout indique que beaucoup ne partagent pas le point de vue de son meilleur biographe : « Céline, mieux que tout autre, savait qu’il n’avait pas voulu l’holocauste et qu’il n’en avait pas même été l’involontaire instrument 4. »
 
Quant à la revue Études céliniennes, il n’y aurait rien à en dire si elle n’était l’organe de la Société des études céliniennes. Quand son directeur émet des propos déplaisants à l’égard d’autres spécialistes de l’écrivain, parle-t-il en son nom propre ou engage-t-il la SEC ? Lorsqu’il daube sur un éditeur célinien « friand de notes de linge », on sait qui est visé 5. Ce persiflage n’a pas été avalisé par le comité de rédaction de la revue. Vétille. Mais quand l’édition critique de la correspondance à Albert Paraz y fait l’objet d’une recension délibérément suspicieuse 6, il en va différemment. L’organe de la S.E.C. est-il dans son rôle lorsqu’il laisse libre cours à ces petits jeux personnels ? C’est la question que peuvent se poser à bon droit les (autres) adhérents de cette société d’études 7.
 
 
Marc LAUDELOUT

 
1. Faut-il pour autant me qualifier d’« inconditionnel de Céline » ? Formule assurément périlleuse utilisée par Christine Sautermeister dans sa communication sur la réception critique de LFC au colloque « Céline à l’épreuve » (j’y étais) organisé en mai 2011 par l’Université de la Sorbonne nouvelle.
 
2. Isabelle Blondiaux, « Pourquoi lire Céline ? » in Céline et l’Allemagne (Actes du Dix-neuvième colloque internationalLouis-Ferdinand Céline), Société d’études céliniennes, 2013, p. 60.
 
3. « Les pamphlets de Céline : enjeux d’une réédition etbilan de la recherche », Congrès de l’Association francophone pour le savoir, Université Laval (Québec), 7-8 mai 2013. Voir l’article de Pierre Lalanne pp. 19-22.
 
4. François Gibault, préface à Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, Gallimard, 1998. À comparer avec l’affirmation selon laquelle les pamphlets « préparèrent les esprits au processus d’extermination [sic] » (André Derval, L’Accueil critique de “Bagatelles pour un massacre, Éd. Écriture, 2010, p. 28).
 
5. Études céliniennes, n° 7, printemps 2012, p. 106. L’année précédente, la critique avait déjà été émise dans les mêmes termes : André Derval, « Bibliographie [L’Année Céline] », Le Magazine littéraire, n°505, février 2011, p. 83d.
 
6. Études céliniennes, n° 6, hiver 2010-2011, pp. 112-114.
 
7. Voir aussi David Alliot, « Foudres et flèches... » & Éric Mazet, « Haro sur Céline » in Spécial Céline,n° 9 (« La chasse à l’homme ! »), mai-juin-juillet 2013, pp. 9-42.

dimanche, 05 mai 2013

Renaud Camus: ce sentiment d'irréalité...

Ex: http://zentropaville.tumblr.com/

Jeudi 7 septembre 2006

Quand on apprend une langue étrangère, ce n’est pas tout de connaitre le sens des mots, il faut aussi savoir les placer, savoir en faire usage et en avoir l’usage, sinon ils ne servent à rien. De même, ce n’est pas tout d’avoir fait connaitre à tel ou telle des villes, des sites, des jardins ou des livres qui vous sont chers : aussi longtemps qu’eux ne vous en parlent pas, que ces lieux ou ces œuvres ne sont pas inscrits dans leurs propres références, la communication entre vous ne s’est pas enrichie, vous ne leur avait rien appris, rien fait aimer de plus.

C’est là une déception assez fréquente dans les relations avec les personnes très âgées, mais pas seulement avec elles, Dieu sait : elles se disent contentes d’un voyage que vous leur avez fait faire, ou d’un compositeur ou d’un écrivain dont vous leur avez fait connaître les symphonies ou les romans mais jamais elles  en parlent de leur propre initiative, ces noms ne surgissent pas dans leur conversation, ils ne sont pas entre vous des lieux de rendez-vous.

Il y a des mots de vocabulaire qui ne sont pas des mots à nous, dont nous nous servons à peine, qui n’ont pas dans notre esprit d’épaisseur de sens : c’est que les réalités auxquelles ils correspondent ne sont pas des réalités pour nous, n’ont pas de portée dans notre propre existence. Quand j’étais enfant, le mot copain était tabou dans ma famille. Il était  considéré comme vulgaire, il ne fallait pas l’employer. On avait des amis, on avait des relations, on n’avait pas de copains. Mais ce n’est pas seulement une question de terminologie. Mes parents n’avaient vraiment pas de copains : ni le mot, ni la chose, ni la personne. Il est même encore trop de dire cela. La phrase négative a encore trop de portée positive. Mes parents n’auraient jamais dit : « Nous n’avons pas de copains »_ non seulement parce que le mot ne faisait pas partie de leur vocabulaire mais parce que le concept n’était pas pertinent  dans leur vie (ni dans celui des gens qu’ils connaissaient).

Moi non plus je n’ai pas de copains.

On entend beaucoup à la radio et à la télévision, ces temps-ci, le metteur en scène géorgien ou d’origine géorgienne Otar Iossaeliani ;  on lit beaucoup d’articles à son sujet  et à propose de ses films ; et chaque fois qu’il est question de lui ou qu’il prend la parole, il est question de copains. C’est manifestement un homme à copains. Les copains tiennent une place capitale dans sa vie et dans ses films. Ils n’en tiennent aucune dans ma vie à moi ni dans mes livres.

C Combaz me parle obstinément de mes copains Les copains, dans son esprit, donnent volontiers un coup de main (en matière informatique, automobile, pratique, technique, de bricolage). Il me dit constamment : « Vous avez bien un copain près de chez vous à qui vous pouvez demander de… » ou bien : « Parmi vos copains de la région il y doit bien en avoir un qui saurait où il faut s’adresser pour… ».

Lui est entouré de copains. Quand on lui téléphone et qu’on ne le trouve pas il dit ensuite qu’il était chez un copain pour l’aider à remplir des papiers ou se connecter  à internet ; ou bien il déclare ; « Là je suis avec des copains, il y a beaucoup de bruit, je vous rappelle dans un moment… ». Je n’arrive pas à lui faire entrer dans la tête que je n’ai pas de copains. J’ai le même genre de problèmes avec les personnes qui veulent savoir (et elles sont nombreuses) si je suis bien ou mal intégré dans le pays. Je ne peux pas leur répondre. Le mot n’a pas de sens pour moi. Il a un sens, oui, mais pas pour moi.

Pour connaitre les êtres, il ne suffit pas de savoir s’ils répondent oui ou non à telle ou telle question. Il faut savoir si cette question ils se la posent ou pas, si elle a ou non une pertinence dans leur vie. Voilà à peu près ce que j’avais l’intention d’écrire ici mardi soir, avant-hier. Mais mardi soir je n’ai rein écrit parce que nous avons désormais Canal Plus, à la maison, et que je voulais voir La Moustache, le film d’Emmanuel Carrère qui passait sur Canal Plus ce soir-là. Cependant, lorsque pour la première fois de ma vie j’ai regardé, donc, je suis tombé sur un débat qu’animait  Michel Denisot, je crois, et où figuraient _ c’était les seuls participants que je connusse_ Frédéric Beigbeder et Yann Moix . Tout le monde avait l’air très à l’aise, les échanges s’opéraient de façon huilée, la conversation aurait être pu être commencée depuis toujours. Or, je constatai sans surprise exagérée, qu’elle ne me concernait en rien, que la langue qui était parlée là n’était pas la mienne, que presque tout étaient de ceux que j’évoquais plus haut (et que j’avais pensé évoquer par écrit ce soir-là) : mots dont je connaissais le sens, plus ou moins, mais qui ne faisaient pas partie de mon vocabulaire parce que les objets, les concepts ou les attitudes qu’ils désignent n’appartiennent pas à mon existence.

Puis La moustache, donc. J’ai lu le livre, le milieu qu’il décrit (car tout de même ; il décrit un milieu, ou au moins, il l’ implique) ne m’avait pas paru à ce point étranger. Il faut croire que du livre au film l’écart s’est accru, entre cette société (si c’est bien la même) et moi (si je suis bien le même). Je vois le film, et il me semble qu’à ces personnes_ bourgeois parisiens de l’espèce qu’il est convenu d’appeler bobos, je présume, je pourrai à peine parler et eux pourraient à peine me parler. Nous n’aurions que très peu de mots en commun ; et même ceux-là n’auraient pas le même sens dans leur bouche et dans la mienne. Ce fut particulièrement frappant, il m’en souvient, quand on entendit le répondeur du couple principal (qui justement à beaucoup de copains, semble t-il, et qu’il les fréquente beaucoup) : à un tel répondeur je ne saurais que dire, il m’exclurait totalement, je ne pourrai que raccrocher.

Or, ce sentiment d’irréalité face au monde, et d’abord au monde social, c’est précisément le sujet du film, et du livre avant lui. Le héros tout à coup ne comprend plus. Il faut que les autres ou lui se trompent, ils ne sont pas dans la même réalité. Ou bien il est fou, ou bien tous les autres le sont. Je dirai prétentieusement que c’est exactement ma situation. Emmanuel Carrère, justement, l’avait prévu qui disait, et qui a écrit, qu’un jour je resterai tout seul  à me comprendre (et encore). Or, il n’y a pas de remède à cela. On ne peut que fuir, et essayer quand on y est contraint, c’est-à-dire le moins possible, de mimer la comédie sociale, de tâcher de ne pas monter qu’on est fou, ou qu’on est persuadé que les autres le sont (ce qui dans l’un et l’autre cas entrainerait des histoires). Pour n’être pas enfermé comme fou il faut (le moins possible) se comporter à ses propres yeux comme un fou, entrer dans la folie des autres, adopter le sens qu’ils donnent aux mots, essayer de leur répondre quand ils s‘adressent à vous dans la langue et selon les rites qui officiellement vous sont communs mais dont vous êtes convaincus qu’en fait ils ne sont pas du tout les mêmes et qu’eux ou vous en faites un usage abusif, aberrant, sans réalité.



Renaud CAMUS

samedi, 04 mai 2013

Lyon: Conférence de Renaud Camus

jeudi, 02 mai 2013

Barrès réhabilité

Barrès réhabilité

par Bastien VALLORGUES

 

barres2-copie-1.jpgLongtemps principale figure de la République des Lettres et modèle de plusieurs générations d’écrivains, Maurice Barrès est aujourd’hui bien oublié tant des institutions que du public. 2012 marquait les cent cinquante ans de sa naissance, le 20 août 1862. Cet événement n’a guère mobilisé les milieux officiels plus inspirés par les symptômes morbides d’une inculture abjecte. Le rattrapage demeure toutefois possible puisque 2013 commémorera la neuvième décennie de sa disparition brutale, le 4 décembre 1923 à 61 ans, à la suite d’une crise cardiaque. belle session de rattrapage pour redécouvrir la vie, l’œuvre et les idées de ce député-académicien.

 

Paru en 2009, un essai biographique aide grandement à ces retrouvailles. Or son auteur, Jean-Pierre Colin, n’a pas le profil du barrésien habituel. En effet, universitaire lorrain, Colin fut le conseiller ministériel de Jack Lang. Par ailleurs, cet homme de gauche est aussi comédien et dramaturge. On pourrait dès lors craindre que l’ouvrage dénigre Barrès. Il n’en est rien. Jean-Pierre Colin exprime plutôt une réelle empathie pour l’auteur de La colline inspirée. En outre, son livre se lit avec plaisir et aisance.

 

Homme de lettres, romancier et journaliste, le Lorrain de cœur n’est pas d’un seul bloc au contraire de son vieil ami Charles Maurras. « Barrès aura été toute sa vie d’une certaine façon l’anti-Maurras. » Jean-Pierre Colin qui ne partage nullement les idées maurrassiennes qualifie néanmoins l’éditorialiste de L’Action Française d’« écrivain authentique, pétri d’hellénisme et le félibre a sa place dans le panthéon français. C’est toutefois un homme abrupt dans ses convictions, haineux dans ses inimités, intolérant dans ses idées et fanatique dans son projet ».

 

Le paradoxe Barrès

 

« Anti-Maurras », Barrès l’est assurément, car, par sa célébration de la terre et des morts, il incarne le dernier des romantiques français. Il voulut donner une politique à ce courant, répondant ainsi au primat de la langue d’Herder. Député boulangiste de Nancy de 1889 à 1893, il participe à la rédaction du titre boulangiste La Cocarde à partir du 5 septembre 1894. Il siégera de nouveau à la Chambre en tant qu’élu conservateur des Halles de Paris de 1906 jusqu’à sa mort.

 

Étonnant élu de Paris qui habite à Neuilly-sur-Seine ! Cet anti-parlementariste sera parmi les doyens de la Chambre des députés et éprouvera un réel attachement à la fonction parlementaire. Lors de certaines de ses interventions, Barrès célèbre le collectivisme. À d’autres moments, il saluera la Commune de 1871 et envisagera d’écrire sur Louise Michel, la « Jeanne d’Arc » communarde. Est-ce si surprenant pour l’inventeur du « socialisme nationaliste » ? Ce contempteur de l’immigration se liera avec une rare intensité charnelle avec la comtesse Anna-Élisabeth de Noailles d’origine roumaine, de dix ans son aînée. cette humanité riche en contradictions fera que « Anatole France, Marcel Proust ou Léon Blum l’auront toujours gardé dans leur estime ». Colin rappelle au contraire que la publication d’Un jardin sur l’Oronte indignera les critiques catholiques pour son immoralisme. Ce livre de 1922, Barrès renoue avec sa jeunesse anarchiste et égotiste de L’Ennemi des Lois (1893).

 

La liberté d’esprit concerne aussi son traitement de l’affaire Dreyfus. Si « Barrès sera quand même de ceux qui reviendront sur leur aveuglement, […] alors que l’Affaire Dreyfus a perdu de son intensité, il ne retranche rien de ses écrits antérieurs, même les plus incisifs. D’une façon générale, il n’aimera jamais désavouer les positions qui auront été les siennes, à un moment ou à un autre, estimant que sa pensée forme un tout ». Colin n’hésite pas à critiquer sévèrement les analyses, pleines de contresens, de Zeev Sternhell.

 

Maurice Barrès s’intéresse à la littérature dès 1884 quand il lance une éphémère revue, Les Taches d’Encre. L’édition ensuite de ses premiers romans va lui valoir une notoriété certaine si bien qu’il sera bientôt appelé le « Prince de la Jeunesse » grâce à Paul Adam qui lui offrit en 1889 une pièce à l’effigie de l’empereur Alexandre Sévère sur laquelle était inscrite « Princeps Juventatis ». il y a plusieurs significations à ce geste. Retenons que Barrès n’a jamais fait son âge réel et conserve toujours une allure juvénile. Mais le célèbre Lorrain savait cacher sous une apparence adolescente « un redoutable polémiste ».

 

barresmaurice.pngPar delà ce talent polémique, Jean-Pierre Colin perçoit dans l’œuvre de Barrès politique la préfiguration des idées gaullistes de la Ve République. Il est le passeur idoine entre le bonapartisme du XIXe siècle et le gaullisme du XXe ! Barrès n’a jamais rencontré Charles de Gaulle, mais ce dernier avait à La Boisserie ses œuvres complètes. Barrès gaulliste n’aurait pas été incongru. Jean-Pierre Colin évoque une uchronie parue naguère dans Le Figaro montrant un Barrès de 78 ans réagissant à l’Occupation. Après une période d’observation et de silence, Barrès qui n’a jamais apprécié Philippe Pétain – il préférait Hubert Lyautey -, dénonce la Collaboration… Irréaliste ? Dès juillet 1940, Philippe Barrès, son fils unique, rejoignit Londres et la France libre. En 1951, il deviendra député de Meurthe-et-Moselle sur une liste du R.P.F., ce qui corrobore une filiation intellectuelle entre le barrésisme et le gaullisme.

 

Un pré-gaullisme

 

Dès sa période boulangiste, Barrès fait sien la devise de son champion : « Dissolution – Constituante – Révision ». Il rêve d’un État laïc, du recours fréquent aux referenda, d’un pouvoir exécutif stable et puissant élu au suffrage universel direct. Barrès réclame en outre une France forte, impartiale et décentralisée. La décentralisation est un thème cher pour ce Lorrain qui a aussi des attaches familiales dans le Gévaudan. En arrêtant la centralisation parisienne, il entend « donner à chaque province dont est née la France, la vie qui lui manque du fait d’une excessive centralisation, qu’elle ait été autrefois monarchique ou aujourd’hui républicaine ». Mais il souhaite aller avec le régionalisme. « Chez Barrès, le régionalisme est d’abord un phénomène culturel et c’est dans cette dimension qu’il peut, non pas contredire l’unité française, non pas contrecarrer l’action du pouvoir central, mais au contraire nourrir l’unité politique de la diversité dont elle a été historiquement le produit. » Il doit inciter à l’enracinement, seul véritable fondement du nationalisme qui « est la loi qui domine l’organisation des peuples modernes (La Cocarde, 21 novembre 1894) ». « L’enracinement de Barrès est de nature politique [… car], adepte de la plus grande liberté dans l’écriture, Barrès, nourri du scientisme propre à son siècle, et plus spécialement du darwinisme, a cependant une vision totalement déterministe de la société », ce qui explique que « républicain, le nationalisme de Barrès était tragique ». Inventeur d’une Lorraine idéale, « l’enracinement barrésien, loin d’être une prison, est un effort de l’âme pour se souvenir d’où elle vient, mais l’âme n’est pas un feu follet, elle est incarnée, et l’être humain, souvent ballotté par les événements, parfois définitivement transplanté, mêlera ses anciennes racines à celles qui vont de nouveau pousser, dans un terroir nouveau, son pays d’adoption ». On retrouve le fond romantique de sa pensée. Député, Barrès est parmi les premiers à se soucier du patrimoine culturel et local.

 

Jean-Pierre Colin éclaire d’autres facettes presque inconnues du Barrès politique. Il le défend face à ses détracteurs sur son rôle de « Rossignol des massacres » pendant la Grande Guerre fratricide européenne. Journaliste et député, Barrès ne peut s’engager du fait de son âge et d’une santé fragilisée par des excès de table et de cigarettes. Destinataire de nombreuses lettres venues tant du front que de l’Arrière, des « Poilus » que de leurs entourages, Barrès se fait le mémorialiste du conflit. Il en rédigera vingt-quatre volumes ! Quand il n’écrit pas des articles qui sont parfois censurés par les autorités militaires parce qu’à la germanophilie culturelle trop prononcée, Barrès s’active auprès de ses collègues : création de la Croix de Guerre, port du casque d’acier, usage du réchaud à alcool dans les tranchées. Il défend mutilés et victimes de guerre face à l’administration, obtient pour les épouses des mobilisés une indemnité journalière et exige le droit de vote des femmes veuves de guerre !

 

Dès la paix revenue, il s’inquiète des conséquences des traités de 1919 – 1920. Voyageur impénitent en Espagne, en Italie, en Grèce et en Orient, il souhaite le maintien de l’Empire ottoman, promeut une Allemagne fédérale et encourage les sécessions séparatistes de la Rhénanie du Nord, de la Rhur et de la Rhénanie du Sud. Dans ses derniers textes, ce passionné de la vallée rhénane envisage l’éventualité d’une Fédération européenne…

 

Maurice Barrès. Le Prince oublié trace le portrait original et captivant d’un écrivain qui mérite beaucoup mieux que son image supposé détestable. Jean-Pierre Colin fait bien mieux : il le réhabilite !

 

Bastien Vallorgues

 

• Jean-Pierre Colin, Maurice Barrès. Le Prince oublié, Infolio, Gallion (Suisse), 2009, 249 p., 22 €.

 


 

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jeudi, 25 avril 2013

Offensive anti-Céline

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Offensive anti-Céline

par Marc Laudelout


Assiste-t-on à une offensive anti-Céline dans le petit milieu littéraire parisien ? Une récente émission pourrait le laisser croire ¹. Les invités : Hélène Cixous, Donatien Grau, Jean-Yves Tadié et Charles Dantzig. Péremptoire et pédant, celui-ci traita, une fois encore, avec condescendance l’œuvre de Céline : « Si on dit que c’est un écrivain comme Henri Béraud, un écrivain pamphlétaire qui a un talent énergique, d’injures, d’invectives, très bien. Mais l’espèce de disproportion où on nous met Céline et Proust [sur le même plan], je trouve que littérairement c’est une erreur ». Rien de nouveau, ce n’est pas la première fois que le sieur Patrick Lefebvre (c’est son véritable patronyme) dénigre Céline : « C’est l’exemple type d’une fausse valeur. Dans son ensemble, son œuvre est mauvaise. » ; « Voyage au bout de la nuit n’est pas un chef-d’œuvre mais  une apologie de la lâcheté.  Céline  a un  talent  très  limité ². ». Et je pourrais citer encore bien d’autres appréciations du même tonneau. On aurait pu s’attendre à ce qu’au moins l’un des autres invités se récriât. Que du contraire ! Tadié, le grand spécialiste proustien, renchérit : « Je partage cet avis mais nous ne sommes pas nombreux (…). Pour moi, c’est quelqu’un qui n’a cessé de  bavarder et c’est de la littérature que je n’aime pas ³. ». La dame Cixous approuve avec force et le quatrième invité, Donatien Grau, ne pipe mot. L’animateur, J.-P. Elkabbach, lui, semble boire du petit lait. Dantzig d’ajouter une couche en affirmant que Céline a tout piqué chez Laforgue  sous prétexte que, lui aussi, utilisait les trois points 4 ! Il y a quelques années, cet érudit graphomane rangeait les livres de Céline  dans la  littérature réaliste ou populiste. À présent, il le réduit à un pamphlétaire genre Béraud. Jusqu’où ira-t-il ?  La prochaine étape  consistera  peut-être à le comparer à Jehan Rictus ou à Drumont.


Depuis quelques années, ce Lefebvre-Dantzig s’est fait une petite réputation dans le monde des lettres. Sur son site, on peut lire que son recueil de poèmes, Les Nageurs, « ode au corps et à la sensualité masculine », est devenu « un livre gay “culte” » 5. C’est également lui qui est à l’initiative d’une pétition pour le mariage gay co-signée par tout ce que l’élite germanopratine compte de « branché », de Pierre Bergé à Patrice Chéreau en passant par Virginie Despentes et Valérie Lang 6. Vous me direz que je m’éloigne de la littérature. Pas tellement car, au cours de la même émission, Lefebvre-Dantzig, qui est aussi romancier, fit cet aveu : « Jean Genet est le premier à avoir annexé au roman les travestis. Moi, je voudrais écrire un roman où il y ait une drag-queen. ». On a les ambitions littéraires qu’on peut 7.


Marc LAUDELOUT

 

1. Émission « Bibliothèque Médicis » animée par Jean-Pierre Elkabbach, Public Sénat, 1er février 2013.

2. Le Figaro, 10 janvier 2009 & France-Info, 18 janvier 2013. Sans parler des inepties sur Céline dont est truffé son dernier livre, À propos des chefs-d’œuvre (Grasset, 2013, pp. 178-179).

3. Tadié veut bien admettre, en revanche, que « Le [sic] Voyage au bout de la nuit est un beau livre ».

4. Dans son Testament de Céline (Éd. de Fallois, 2009), le regretté Paul Yonnet (qui n’aimait de Céline que Voyage au bout de la nuit) voyait, lui, en Eugène Scribe un devancier de Céline en raison de l’utilisation des trois points.

5. Dans son dernier roman, le narrateur se souvient avoir été traité de « pédé » et avoir reçu ce mot comme une gifle. Mais il l’a accepté, a endossé le mot “gay” qui “exaspère les homosexuels honteux” ».

6. « Mariage gay : non à la collusion de la haine », Le Monde, 17 novembre 2012.

7. Au moins faut-il lui reconnaître une certaine constance : la presse nous apprend que lors de la dernière délibération du Prix Décembre (dont il préside actuellement le jury), Christine Angot et Mathieu Riboulet avaient obtenu tous les deux six voix. Comme l’y autorise le règlement, Dantzig fit alors prévaloir sa double voix pour décerner le prix au roman de Riboulet qui se passe dans les saunas et back-rooms d’outre-Rhin. On est décidément loin de la célébration de la danseuse chère à Céline…

mercredi, 17 avril 2013

A. Lombardi: Viaggio al termine dell'Apocalisse

mardi, 16 avril 2013

Léon Bloy: le porte-foudre

 

Léon Bloy

 

Léon Bloy :

Le porte-foudre

 


« Au commencement était Léon Bloy. »

Évangile selon Saint Jean – Prologue

 

En cherchant un temple qui ne disparût jamais, les Muses trouvèrent un jour l’encrier de Léon Bloy. Bercées par le flux et le reflux dans l’immensité de cet océan de vocables, elles y laissèrent perler des cristaux de ciel. De ce flot d’encre nacrée ne pouvait éclore qu’un géant. Un artisan virtuose nourri au sein d’Amalthée. Un joaillier de malédiction condamné à marquer les Lettres françaises du sceau des constellations.

C’est en 1846, au crépuscule de la monarchie de Juillet, que naquit Léon Bloy. Enfant de famille nombreuse, il fut le fils d’un père fonctionnaire des Ponts et Chaussées et d’une mère catholique aimante. Au cours d’une enfance errante et d’une scolarité médiocre, il voua ses premiers loisirs à la peinture et à l’écriture : les deux rives d’un même fleuve pour le Léviathan de poésie qui sommeillait déjà dans ses labyrinthes intérieurs.

Il rencontra Jules Barbey d’Aurevilly en 1868. Par l’amitié naissante tapie dans leurs discussions tardives, ce dernier ralluma la flamme du catholicisme dans le cœur de ce jeune disciple qui devint son secrétaire bénévole. Royaliste influencé par Joseph de Maistre, Louis de Bonald et Antoine Blanc de Saint-Bonnet, le « Connétable des lettres » rapprocha Bloy des courants traditionnalistes. Des convictions, gravées depuis la forge de Vulcain, qui restèrent en filigrane derrière chacune de ses lettres, tapissant son œuvre à la manière d’une luxuriante végétation.

Après le drame que fut la perte de ses parents, il croisa la route d’une jeune prostituée dont il s’éprit et qu’il convertit à sa foi en 1878. Anne-Marie Roulé devint une porte ouverte sur l’infini pour cette âme d’ancêtre à la recherche d’un dieu. Il retraça cette relation dans son premier roman partiellement autobiographique Le Désespéré, publié en 1887. Atteignant des strates empyréennes à chaque déversement d’humeurs, Léon Bloy ne mit au monde que des aérolithes littéraires ciselés d’une main d’orfèvre. Romans, nouvelles, articles, pamphlets, tous ses écrits transpiraient d’harmonie, de force contenue, de vitalité conquise. Agencement de phrases dans une langue barbelée de mots rares, comme autant de flèches trempées dans l’ambroisie. Sa plume, gonflée au curare, pris coutume d’éjaculer sur les contreforts du ciel avec une aisance à consterner les plus lactescents aèdes.

« N’oubliez pas une chose, la vraie inspiratrice c’est la mort. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien. Il faut payer », dira des années plus tard Louis-Ferdinand Céline, un de ses héritiers, en montrant du doigt la vacuité et la prétention d’une armée de verbeux frigides s’auto-promouvant grands chambellans de l’universel. Sans nul doute Léon Bloy paya. Bien souvent il sentit les doigts décharnés des Goules de son temps compresser son cœur fracturé par les incompréhensions et les assauts de l’injustice.

 
Rejeté de la vie littéraire et des cercles mondains pour ses provocations et son refus toujours renouvelé de se vautrer dans les conformismes primaires, il vécut une grande partie de sa vie dans la misère. Misère qui, si elle le rapprochait du Christ – ce guide qui s’était fait pauvre parmi les hommes – coûta la vie à deux de ses enfants et lui fit écrire ses lignes : « En présence de la mort d’un enfant, l’Art et la Poésie ressemblent vraiment à de très grandes misères. Les gémissements des mères, et, plus encore, la houle silencieuse de la poitrine des pères ont une bien autre puissance que les mots et les couleurs, tellement la peine de l’homme appartient au monde invisible. »


Rien cependant ne vint troubler sa détermination à exécrer la fin de son siècle et le nouveau naissant. Assistant écœuré à la pendaison des traditions, il contempla la montée au pinacle d’une déchéance spirituelle aussi abjecte qu’assumée par la « porcine congrégation des sycophantes de la libre pensée ».

Éloigné des plumitifs ratés ithyphalliques qui passaient moins de temps à produire un œuvre qu’à se tailler des pipes dans les arcanes de l’autopromotion, Bloy rédigea ses élans mystiques avec le scalpel de Vésale. Avançant seul dans la nuit de ses convictions, il assassina son époque d’une verve sanguinolente. Une époque qui déféquait avec morgue sur les astres assoupis en brandissant les valeurs bourgeoises comme des oriflammes aurifiées. Personne ne vomit jamais de si célestes crachats sur la classe dominante. Lancer des graviers à la face conspuée de ces gras possédants fut sa quête la plus ardente. Son « Exégèse des Lieux communs » restera pour jamais un parangon de pamphlet que saluera vivement Roland Barthes et qui fera écrire à Jorge Luis Borges : « Léon Bloy, collectionneur de haines, dans son musée bien rempli, n’a pas exclu la bourgeoisie française ». Non satisfait de ne pas l’en exclure, Bloy en fit une cible de prédilection sur laquelle il compissa avec une ferveur à la fois dévorante et lumineuse. Personne n’échappa au jugement foudroyant de ce catholique des catacombes à la véhémence imputrescible, pas même l’Église qu’il contemna bien souvent pour ses dévoiements, elle qui s’était détournée de sa mission en laissant l’entrejambe de la modernité courtiser ses remparts.

Pour autant, qui a lu Léon Bloy sait qu’il fut bien autre chose qu’un pamphlétaire haineux. « Surtout je ne veux pas être le pamphlétaire à perpétuité (…) mais quand je le fus, c’était par indignation et par amour, et mes cris, je les poussais, dans mon désespoir, sur mon Idéal saccagé ! » se défendait-il dans Le Mendiant Ingrat. Ses romans et ses nouvelles furent autant de poèmes en prose ayant nourri ses contemporains et les auteurs suivants d’Alfred Jarry à Georges Bernanos. Il se fit un sacerdoce de présenter un sourire boueux à tous les implacables damnés hermétiques aux effluves de l’Art et laissa aux assoiffés d’émotion un boulevard ouvert sur la beauté langagière.

Face aux charges répétées de cet ouvrier de la grande plume, les rivaux de cette fin de siècle décadente laissèrent tomber leurs feuilles, tels des arbres plaintifs. Comme tous les grands poètes, Léon Bloy n’eut, en somme, d’autre rôle que celui d’annoncer l’automne.

Maxime Le Nagard

 

mardi, 09 avril 2013

Taller Literario: Céline

dimanche, 07 avril 2013

Reise in die Tiefe einer Existenz

muray_celine_Matthes_&_Seitz_Berlin_2012.jpgCéline

 
Céline
[Céline, 1981]
264 Seiten, geb. mit Schutzumschlag

Aus dem Französischen und mit einem Nachwort von Nicola Denis
Buch ISBN: 978-3-88221-559-5
Preis: 29,90 € / 38,90 CHF

eBook (epub) ISBN: 978-3-88221-019-4
Preis: 22.99 € / 25.99 CHF

Reise in die Tiefe einer Existenz

Philippe Muray, in Deutschland noch völlig unbekannt, in Frankreich in den letzten Jahren zu einem Kultautor von Jahrhundertformat avanciert, hat in diesem brillanten literarischen Langessay einen so umstrittenen wie gewichtigen Beitrag zu Leben und Werk des infernalischen Louis-Ferdinand Céline geschrieben. Es ist für deutsche Leser die erste umfassende Auseinandersetzung mit dem Phänomen Céline, der wie kein anderer Widerstände provoziert und Fragen nach dem Bösen in der Literatur, den Grenzen der Kunst und ihrer Moralität aufwirft. Diesen unlösbaren Fragen geht Muray in seinem eleganten, klugen und pointierten Essay auf den Grund und erweist sich selbst als einzigartiger Autor.

Pressestimmen

»Muray weigert sich, Céline in zwei Hälften zu zerlegen und den großen Romanautor, der seiner Zeit eine neue Sprache von den Lippen las, vom widerlichen Pamphletisten abzutrennen. ›Es gibt keine zwei Célines, da es nur einen gibt.‹ (...) In diesem Schriftsteller kohabitieren der archaische Übeltäter und der progressive Befreier, so dass für Muray die eigentliche Frage ist, wie das ein Leben lang durchzuhalten war. Muray vertieft sich aber nicht nur in Célines Werk, sondern analysiert spiegelbildlich auch das Vergessen der Nachkriegsgesellschaft, die den Autor zunächst ins dänische Exil schickte und dann in der Rezeption selektiv wegsteckte.«
Joseph Hanimann, Süddeutsche Zeitung, 27. November 2012

»Murays Buch, anarchistisch und progressiv, türmt sich wie eine Festung inmitten der Literatur des 20. Jahrhunderts auf. Einmal mehr wird der Schriftsteller Céline zum Gefangenen. So grandios wie Nicola Denis muss man diese Szene erst einmal übersetzen können.«
Jürgen Nielsen-Sikora, Glanz & Elend, 05. November 2012